Un nom de code local de l'héroïne
Depuis qu'il s'est implanté dans la capitale, pour s'ancrer désormais dans le mode de vie urbain, les connaisseurs utilisent fréquemment le jargon ou le terme « Rôrô » afin de désigner, pour ne pas dire directement héroïne, puisqu'il s’est agi de cette drogue dure.
Actuellement, le trafic de l'héroïne fait florès à Antananarivo. A preuve, on assiste aux ravages de cette drogue dangereuse chez les jeunes consommateurs de la ville, parfois à peine sortis de l'enfance.
Pour se procurer illégalement du « Rôrô » auprès des petits revendeurs et autres dealers, l'acheteur a un large choix. Car il faut dire qu'il existe une fourchette de prix, et ce, en fonction du fait qu'il s'agit d'une drogue de qualité, ou surtout un « Rôrô » bas de gamme, selon la Police.
Il n'est donc pas étonnant que le gramme s'achète parfois à 15.000 ariary, car de très mauvaise qualité. « Les trafiquants font mélanger l'héroïne à des fatras vraiment inutiles, voire nuisibles à la santé publique. Parfois, la Police décèle même du " jumbo ", ce condiment alimentaire d'usage culinaire », explique une source policière. Les petits dealers proposent ce type de produit stupéfiant à des consommateurs, des adolescents, et enfin des toxicomanes à petits budgets d'Antohomadinika ou des 67 Ha. Mais il existe aussi un « Rôrô », la vraie héroïne destinée à une clientèle plutôt riche. Cette dernière peut s'en procurer dans une fourchette de prix allant de 100.000 à 600.000 ariary le gramme. Mais comme on vient de le préciser, le client a le choix. Il n'est pas forcément obligé d’acheter un gramme et quelques poussières. Ainsi, il peut obtenir sa dose, soit 0,05g d'héroïne entre 3.000 et 5.000 ariary.
Pour revenir dans le surnom de « rôrô » qu'on a donné à l'héroïne, ce sont les trafiquants et les addictés eux-mêmes qui l'ont inventé, selon toujours les Forces de l’ordre.
Cela fait des années que certaines personnes prennent de l'héroïne dans le pays. Mais elles étaient encore une minorité, du moins à l'époque. Mais depuis deux ans, le « Rôrô » a commencé à être de plus en plus vulgarisé, gagnant la couche populaire de la Capitale, alors que d'habitude, le problème de drogue dure n'a concerné que la couche aisée de la ville. Cette situation a notamment coïncidé avec les agissements des trafiquants africains, nigérians où les arrestations ont démarré à Analamahitsy à l'époque. Récemment, il y avait l'affaire Fetra et Big MJ ayant fait le buzz sur Facebook.
Comment reconnaître un « Rôrô » ? Dans sa forme la plus pure, l'héroïne est une poudre cristalline blanche et fine, au goût amer, et qui se dissout dans l'eau. Pour augmenter le poids pour la vente au détail, les trafiquants ajoutent parfois du sucre, de l'amidon ou du lait en poudre, voire du « Jumbo » comme nous venons de le citer précédemment.
Mais il n'y a pas que le « Rôrô » pour apporter ses lots de destruction sur les accros dont ces jeunes de la Capitale. On peut mentionner également ce qu'on appelle les « drogues de synthèse ». Celles-ci désignent un éventail très hétérogène de substances qui imitent les effets de différents produits illicites (ecstasy, amphétamines, cocaïne, cannabis, etc.). Leurs structures moléculaires se rapprochent, sans être tout à fait identiques. Parmi les drogues de synthèse les plus connues, mais bel et bien illicites, on trouve notamment la métamphétamine, l'ecstasy (similaire à la MDMA), le GHB ou encore la kétamine. En fonction du type de drogue, elles peuvent se présenter sous des formes différentes : poudre, capsules, buvards, cristaux, liquide, etc. Contrairement aux drogues d'origine naturelle (cannabis, cocaïne...), les drogues de synthèse (MDMA, GHB,...) sont obtenues à partir de molécules chimiques produites clandestinement en laboratoire.
Franck R.
Témoignages
Des parents se confient !
Désorientés, honteux, pointés du doigt par la société et délaissés par leurs familles. Des parents des jeunes dépendants du « Rôrô » ont accepté de se livrer, non seulement pour alléger leurs peines mais aussi pour avertir les autres afin de surveiller de près leurs enfants.
« Mon fils est en prison, après avoir été désintoxiqué »
Les larmes aux yeux, E.R. (initiales) reste désemparée de ce qui est arrivé à son fils. Ce dernier semblait pourtant être guéri de sa dépendance au « Rôrô », après des semaines de traitement dans un centre hospitalier privé d’Antananarivo. « Mon fils aîné a été hospitalisé pendant 5 semaines pour sa cure de désintoxication. Il a pu achever les deux premières étapes du traitement, à savoir le sevrage et la réhabilitation. Nous avons dépensé plus d’un million d’ariary pour sa prise en charge. Mais au final, cela n’a servi à rien », déplore cette mère de famille. « Il a fait une rechute, au point de participer à un cambriolage. Il a été arrêté par les Forces de l’ordre, a été jugé et a écopé d’une peine d’un an d’emprisonnement ferme. Il est détenu à Antanimora depuis quelques mois. Je suis la seule qui continue à m’occuper de lui. Je ne peux pas abandonner mon fils, malgré tout ce qu’il a fait », nous confie cette femme dans la soixantaine.
Le fils d’E.R. est devenu accro au « Rôrô » depuis quelques mois. Il avait pourtant un bon travail et gagnait très bien sa vie. « Ils nous a confié que c’est un agent de Police qui lui a donné une dose gratuitement, avant qu’il en devienne dépendant au bout d’une semaine. Ses mauvaises fréquentations se sont ajoutées à ses problèmes, au point de perdre tout ce qu’il avait. Il a d’abord vendu toutes ces acquisitions, que ce soit son i-phone, ordinateur portable, etc., avant de voler à la maison. Couvertures et draps, ustensiles de cuisine, appareils électroménagers, il a tout vendu », se souvient notre interlocutrice. Elle a dû emprunter de l’argent pour prendre en charge la cure de désintoxication de son « délinquant », mais en vain !
« Nous n’avons pas les moyens d’assurer sa cure ! »
Cela fait maintenant 9 semaines que le cadet d’Henriette A. (nom d’emprunt) sombre dans la dépendance au « Rôrô ». Il s’injecte d’une dose tous les deux jours pour aller bien, sinon il se trouve dans un état lamentable, selon son témoignage. « J’ai pris une dose lors d’une sortie avec des copains, en février. J’en prenais de temps en temps, mais au final, je dois m’en injecter 2 à 3 fois par semaine pour éviter une fatigue insupportable, des courbatures et des tremblements en permanence. Je n’en peux plus de ce mal-être au quotidien. Je veux tellement me désintoxiquer et aller mieux, mais les moyens me manquent », nous confie Y.R., un jeune homme de 17 ans sous l’emprise de cette drogue dure.
Pour sa part, Henriette A. a fait le tour des médecins et cliniques d’Antananarivo, mais les frais de cure lui sont exorbitants. « Son traitement requiert des jours, voire des semaines d’isolement dans le centre, ce qui représente une somme conséquente. Nous ne savons plus où aller, vers qui se tourner », se désole cette mère de famille. « Nous sollicitons les autorités compétentes afin d’ouvrir des centres où les dépendants doivent suivre obligatoirement des cures de désintoxication. Ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir le traitement - s’élevant à des millions d’ariary dans les cliniques - pourront y être pris en charge gratuitement, mais sous certaines conditions », suggère-t-elle.
Notons que la plupart des centres hospitaliers et cliniques accueillant les drogués en cure de désintoxication sont actuellement débordés, selon les témoignages des parents. Les demandes sont nombreuses, mais les frais de traitement constituent un frein pour ceux qui n’ont pas les moyens…
P.R.
« Après une cure de désintoxication, certains doivent être consultés par un neurologue et un cardiologue »
La désintoxication est l'élimination progressive des produits chimiques du corps pour que le sevrage ne soit pas trop douloureux pour la personne. Afin de sensibiliser les toxicomanes concernant les différentes manières de se libérer de l'emprise de la drogue, le docteur Voary Velonjara nous livre une interview.
La Vérité (+) : Quelles sont les étapes de la désintoxication ?
Docteur Voary Velonjara (-) : Tout d'abord, le traitement ne peut commencer tant que le patient n'a pas décidé d'arrêter de prendre la drogue. Il faut que la famille accepte aussi de le soutenir. Or, celle-ci participe à un entretien et au counseling préliminaire puisque l'environnement dans lequel vit le toxicomane influence son comportement. Lorsque la famille et l'environnement favorisent l'abstinence de la drogue, la guérison est garantie. Dans le cas contraire, la thérapie est souvent vouée à l'échec. Ensuite, il y a une première consultation du patient pour connaître le degré de sa dépendance, l'effet de la drogue sur son physique et mentale. Certains toxicomanes sont traités en ambulatoire, d'autres nécessitent d'être internés. Le traitement varie selon l'état du patient : soit un simple counseling suffit ou bien le patient exigence l'administration de médicaments durant le servage.
Concernant l'internat, cette méthode aide au sevrage pour que le patient ne souffre pas trop en consommant des médicaments. C'est souvent une drogue très puissante que vous ne voulez pas emporter seule à la maison. Vous devez donc être prudent et étroitement surveillé pour éviter tout dommage. Fortes doses, prises fréquentes, instabilité mentale (violence, idées suicidaires,...), font partie des besoins d'hospitalisation. Si le monde dans lequel il vit est très violent, il doit être interné pour être isolé des amis et des trafiquants de drogue qu'il ne peut éviter au cas où il rentre chez lui.
(+) : Combien de temps dure le traitement ?
(-) : Cela varie selon le cas du patient et sa conviction. Environ un à trois mois en général, mais cela peut être bien plus long. Le traitement ne doit pas s'arrêter jusqu'à ce que le patient soit complètement guéri. Cependant, certains s'arrêtent après une séance. En conséquence, ils ont fait une rechute. Ce qui est la plus dangereuse des situations.
(+) : Est-ce possible que des personnes qui ont réussi le traitement se nouent de nouveau dans la drogue ?
(-) : Oui. Ce n'est pas la désintoxication qui libère complètement une personne de la drogue, mais les raisons qui l'ont provoqué à prendre de la drogue et l'environnement qui l'entoure. Beaucoup ont fait une rechute à cause de la dépendance mentale et physique. Après le traitement, le patient est libéré de la dépendance physique, mais la dépendance psychologique nécessite une longue période. C'est pourquoi un suivi psychologique est nécessaire. Souvent, c'est l'environnement dans lequel il a vécu avant et vit encore après son traitement qui l'empoisonne comme le stress, la pression, les amis, les soirées…, ainsi que l'état mental dont la dépression, l'anxiété, la phobie. En revanche, il existe des personnes qui n'ont pas pris la drogue depuis 3 ans mais qui replongent ensuite. Il est très difficile de prédire cette situation, mais leur état d'esprit et leur environnement jouent un grand rôle dans le traitement.
(+) : Est-ce qu'ont peut se libérer de la drogues sans thérapie ?
(-) : Comme je l'ai déjà dit auparavant, il y a des personnes qui sont convaincues qu'elles n'ont pas besoins de médicaments pour se libérer, parce que leur corps ne souffrait pas du syndrome de sevrage ou qu'elle pouvait bien le supporter. Par contre, il y a ceux qui voudraient s'arrêter, mais il y a des symptômes dans leur corps qui ne peuvent être soulagés que par des médicaments. Ces gens doivent donc consulter un médecin. Cela dépend aussi de la dose prise, de l'heure à laquelle elle a été prise, de l'état mental et physique.
(+) : La désintoxication affecte-t-elle l'état du patient ?
(-) : La prise de drogue fait perdre du poids. Mais lorsqu'une personne est libre, elle devient plus affamée, elle se sent à l'aise, et certains gagnent du poids. Le fonctionnement de l'organisme revient à la normale. Pourtant, il est possible que des organes aient des séquelles, par exemple le cerveau. Certains rient sans raison apparente ou parlent avec elles-mêmes en marchant… D'autres doivent être consultés par un spécialiste comme un neurologue, un cardiologue, un hépato-gastro, etc.
(+) : Une personne est devenue addict après combien de doses ?
(-) : Ce n'est pas le nombre de fois où il a pris la drogue qui définit l'addiction. Prendre la drogue tous les jours pendant deux semaines ou régulièrement pendant 3 semaines, puis augmenter la dose pour obtenir le même effet que le premier ou obtenir l'effet désiré : c'est ce qu'on appelle addiction. Il y a aussi le « mauvais usage » : on en prend trop, ce qui conduit au surdosage d'abord, ce qui mène ensuite à l'addiction.
(+) : Des recommandations pour sauver les jeunes de cette passion dangereuse.
(-) : Augmenter la sensibilisation. Cette pratique devra être accentuée dans les écoles, la rue, sur les réseaux sociaux. La drogue est devenue une tendance chez les jeunes mentalement faibles. Il s'avère que la drogue forte a été introduite dans les bas-quartiers et que sa propagation est devenue incontrôlable. Il faut donc poursuivre les fournisseurs de drogue, les gros poissons mais pas seulement les détaillants. Enfin, il faut soutenir les centres de désintoxication et installer tant d'autres puisqu'ils ne sont pas suffisants pour couvrir le besoin de la population.
Recueillis par Anatra R.
Sous l'emprise de cette drogue depuis 5 ans, Andry veut s'en sortir
Un autre jeune qui a souhaité garder l'anonymat et qu'on nommera T. Andry a aussi témoigné de son addiction à ce nouveau produit stupéfiant. Ce dernier n'arrive pas jusqu'ici à se défaire de l'emprise du « Rôrô », mais a décidé de s'en sortir avec un peu d'aide.
« C'est en 2018 que j'ai pris ma première dose. Ce sont des amis qui me l'ont offert gratuitement juste pour le "fun". Mais au fur et à mesure j'ai ressenti un manque, mon corps réclamait sa dose quotidienne au début. Plus tard, c'est comme manger. Il en faut au réveil, à midi et avant de dormir », s'exprima-t-il en relatant ses premières rencontres avec « Rôrô ».
Ce témoin affirme aussi qu'il a déjà tenté, à plusieurs reprises, de se libérer de cette addiction, mais sa faiblesse d'esprit et le manque de soutien ont rendu difficiles les choses. En plus, en ce moment, ce produit coûte cher, contrairement au moment de son lancement. Une dose coûtait à l'époque 1.500 ariary. Puis, au fil des années, son prix a augmenté. Parfois, lors des ruptures de stock chez les détaillants, une dose pourrait atteindre les 20.000 ariary. Or, cela concerne encore les drogues de bas de gamme. Si on veut aller du côté des enfants de riches, le prix peut plafonner jusqu'à 30.000 ariary.
Actuellement, Andry T. est pris en charge par une personne de bonne volonté afin qu'il suive un traitement dans un centre de désintoxication. « Je remercie mon sauveur, car je suis bien décidé à laisser tomber le « Rôrô ». Ce qu'il me fallait, c'était un coup de pouce venant d'une personne généreuse », avoue-t-il.
Le manque entraîne toujours vers le vol, car un citoyen lambda ne peut consacrer cette somme chaque jour juste pour une seule dose. « Quand on est habitué à ce poison, on est prêt à tout pour l'avoir. On vend d'abord nos effets personnels, à commencer par les vêtements, les baskets pour ne pas éveiller les soupçons de la famille. Pour mon cas, je me débrouillais tant bien que mal à faire des petits boulots qui me permettent juste de quoi assurer mes trois shoots de la journée ».
Quand le Rôrô n'est pas là, la victime se transforme en un véritable zombie et sa vision des choses devient totalement hors de la réalité. Devenu plus tard à cours de ressources, un toxicomane commence à vendre des objets de valeur à la maison. Et ensuite, il participe à des cambriolages ou des vols à la tire. Il s'exprime intelligiblement et dort toute la journée. Selon les membres de sa famille, ce garçon était plus mort que vivant. Dans son sommeil, il a les yeux ouverts, une respiration très faible et ne bougeait pas quand on le réveille. Des fois, on se demandait encore s'il était vivant.
Pour couronner le tout, Andry T. remercie également Dieu de lui permettre d'être encore en vie, car certains de ses amis et connaissances n'ont pas eu cette chance et en sont décédés. D'autres ont atterri en prison.
« Je lance un appel à tous les jeunes qui sont tentés de prendre cette drogue. Quand on vous l'offre gratuitement, il faut refuser car c'est un piège tendu par les vendeurs. Le temps que vous en rendez compte, il est déjà trop tard », conclut-il.
Recueillis par Nikki Razaf