15h30. Le ciel est dégagé et orné d’un soleil des plus éclatants. En sueur, Soaravo Béatrice, une artisane, munie de son habituel gros sac en plastique pour le marché, arrive enfin à son atelier à Ivato après avoir effectué quelques livraisons et courses en centre-ville. « Je suis passée à ma boutique à Anosy pour voir si les étals sont bien approvisionnés, mais aussi pour prendre d’éventuelles commandes. Et maintenant, nous allons préparer tous les produits à exposer au marché artisanal hebdomadaire, près de la gare routière Maki à Andohatapenaka. L’idée est de présenter aux clients toutes nos nouvelles réalisations et les choix disponibles en couleurs et en formes pour avoir de nouvelles commandes ». Depuis l’année dernière, avec la pandémie de Covid-19, cette artisane mais aussi gérante d’une boutique de produits artisanaux, Fyara, s’est reconvertie dans la décoration d’intérieur. S’inspirant des tendances internationales tout en prenant en compte les besoins et le pouvoir d’achat des consommateurs, elle confectionne différents produits du quotidien, pour embellir une pièce, une maison ou encore un établissement hôtelier.
Quand on parle du secteur du tourisme, principal sinistré de la crise sanitaire, tout le monde pense aux compagnies aériennes, aux hôtels mais aussi aux agences de voyage et aux transporteurs. «Tous les acteurs ont dû mal à imaginer que nous, artisans, nous subissons aussi de plein fouet les impacts de la fermeture des frontières aériennes de Madagascar. Nos activités ont fortement baissé vu que 75% de nos ventes reposaient surtout sur les touristes internationaux. La conquête du marché local est de plus difficile vu que les consommateurs malagasy ont des a priori sur nos produits. Pour la majorité, artisanat rime avec prix élevés. Alors que ce n’est pas du tout le cas», explique Soaravo Béatrice. Face à cette absence de revenus stables alors que les charges n’ont pas du tout bougé, cette artisane a fait preuve de créativité pour trouver de nouvelles alternatives accessibles et répondant aux attentes des consommateurs. C’est dans cet esprit qu’elle s’est lancée dans la décoration d’intérieur.
Les impôts toujours aussi lourds
Les artisans ont continué de payer des impôts malgré la crise. «Pour ma part, les responsables m’ont contacté pour m’acquitter des impôts de cette année mais jusque-là, je ne suis pas encore passé au centre fiscal de ma zone, parce que je suis encore loin de la somme qu’ils demandent», soutient un artisan. Pour cet opérateur, son impôt s’est élevé à 1 300 000 ariary. Pour l’année dernière, il a payé 600 000 ariary. « Toutefois, cette somme a été difficile à collecter vu la baisse des revenus. De plus, nous ignorons sur quelle base, ils ont calculé les impôts à payer», rajoute-t-il. En tout cas, même si la Direction générale des impôts s’active pour étendre l’assiette fiscale et formaliser les opérateurs, elle reste compréhensive envers les opérateurs étant donné la situation.
Cette conversion n’est pas l’alternative la plus facile. « Dans ce genre de situation, l’investissement reste incontournable. Mais comme nos ressources financières sont limitées, nous faisons de notre mieux avec les moyens du bord. Nous privilégions alors la récupération et la transformation des produits déjà en notre possession. Nous leur donnons ainsi une nouvelle vie, un nouveau souffle. Je suis de nature inventive donc j’exploite ce point du mieux que je peux. J’utilise par exemple la technique du patchwork dans la confection de mes tapis ou encore de tissus d’ameublement » détaille cette artisane, avec passion. Heureusement, l’artisanat malagasy ne cesse d’évoluer pour concurrencer les différents produits disponibles sur le marché. Cette évolution repose essentiellement sur les artisans. En tout cas, les consommateurs commencent à peine à se détacher de leur a priori et à s’intéresser petit à petit à ces produits. Le rustique et le fait-main font en effet partie de la tendance actuelle.
Malgré cela, la recherche de marchés et de nouveaux clients n’est pas une mince affaire. « L’avantage est que nous avons déjà réalisé des commandes du même type pour des établissements hôteliers et des particuliers. En faire une activité principale et obtenir des clients étaient donc plus faciles. Mais nous participons quand même à divers marchés pour étendre notre clientèle », note celle-ci. Leur participation à la dernière Foire internationale de l’économie rurale de Madagascar (FIER-Mada) a eu par exemple des effets plus que positifs sur la promotion de leurs produits.
Les matières premières de plus en plus chères
Outre la fermeture des frontières, les matières premières figurent aussi parmi les principaux soucis des artisans à l’heure actuelle. «Le prix des matières premières a connu une hausse considérable depuis l’année dernière. Rien que pour le raphia, le prix a doublé. Le kilo est passé de 3 500 à 7 000 ariary. Alors que la qualité du produit est assez déplorable» se plaint Soaravo Béatrice, qui travaille avec près de 46 petites entreprises pour assurer son bon fonctionnement. «Le souci est que la production n’arrive pas à suivre la demande. Des industries collectent en effet le raphia ou encore les cornes de zébu, d’où cette hausse de prix actuelle», rétorque un revendeur. Et le raphia n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les matières premières locales et importées sont toutes concernées, tout comme les produits de première nécessité. « Le vrai souci avec cette hausse de prix des matières premières c’est que le pouvoir d’achat des clients et futurs clients ne cesse de diminuer avec la crise. Si nous augmentons nos prix donc, nous risquons de ne rien vendre», soulignent les artisans. Au rythme où les choses évoluent, le secteur peut subir une nouvelle crise.
Dossier réalisé par Rova Randria