La genèse de cette agitation remonte à plusieurs tentatives de régulation, notamment la fixation par décret, en avril 2024, d’un prix plancher du Gigaoctet (Go) de data mobile à 0,95 dollar, décision qui avait immédiatement soulevé un tollé général. Bien que le Gouvernement soit revenu sur cette décision, la frustration des utilisateurs, particulièrement visible au sein des "influenceurs en herbe" et des jeunes, n’a pas décru. Historiquement, cette volonté de fixer un prix plancher trouvait son explication dans une situation économique dégradée pour l’ensemble des opérateurs en 2023, confrontés à une hausse vertigineuse des coûts : augmentation du prix des licences et des fréquences, multiplication des taxes (sur les pylônes, droits d'accises) et explosion du prix de l'énergie. L'objectif était notamment de sauver l'un des trois opérateurs nationaux menacé de disparition financière.
Cependant, au-delà de la simple revendication consumériste, une dimension regrettable a entaché le débat public. La demande légitime de baisse des prix s'est vue mêlée à une campagne de dénigrement et de xénophobie ciblant la communauté malgache d’origine indienne dont un membre est l’actionnaire majoritaire d’une des trois sociétés de télécommunications. Cette dérive a complexifié le dialogue, déplaçant l'attention des enjeux économiques et réglementaires vers des considérations identitaires préjudiciables à la sérénité du débat. L'émission d'avant-hier soir, sans la présence des opérateurs qui ont regretté de ne pas avoir été invités, laisse un goût amer pour certains observateurs, qui y ont vu une occasion manquée de clarification exhaustive des enjeux économiques.
Réalités économiques
Si le prix de l’Internet mobile à Madagascar est jugé élevé par une partie de la population, une analyse comparative des données chiffrées révèle une situation plus nuancée dans le contexte régional africain. L'Autorité de régulation des Télécommunications (ARTEC) et les opérateurs rappellent unanimement que les benchmarks internationaux placent aujourd'hui Madagascar dans la moyenne des pays africains en termes de prix du Gigaoctet. Après l'annulation de l'arrêté fixant le prix plancher, les tarifs ont légèrement baissé pour se situer au-dessus de 0,8 $ le Go.
Cette position médiane, loin d'être la plus chère, doit être mise en perspective avec le niveau de taxation appliqué au secteur des télécommunications. Il est "mathématique", comme le rappellent les opérateurs, qu'un pays ne peut pas simultanément être l'un des pays où l'Internet mobile est le moins cher et l'un des pays où il est le plus taxé en Afrique. Les opérateurs font face à une liste de charges conséquentes dont les taxes sectorielles très élevées, figurant parmi les plus importantes d’Afrique, l’explosion des coûts réglementaires : prix des licences et des fréquences. Les facteurs macro-économiques : dégradation de la parité Euro/Ariary (impactant les investissements), explosion des coûts de l’énergie (JIRAMA, nécessité de solutions alternatives face aux délestages permanents) et inflation généralisée ou encore une concurrence déloyale : l'existence d'opérateurs informels ne payant ni taxes fiscales ni taxes réglementaires, et n'ayant aucune obligation d'investissement ou d'embauche.
Malgré ces contraintes structurelles, les opérateurs, via le Groupement des opérateurs de télécommunications de Madagascar (GTM), ont affirmé leur volonté d'appliquer des baisses de prix significatives. Le GTM a ainsi proposé des baisses massives (jusqu’à 50%) sous condition d'un allègement fiscal.
Contestation des droits d'accises
L'un des points centraux de la discorde concerne la nature fiscale des services Internet. La question fondamentale qui se pose aujourd'hui aux politiques et utilisateurs est : l’Internet est-il un Produit de première nécessité (PPN) ou un produit de luxe/nocif pour la Santé ?
Actuellement, l'Internet est traité par le régime fiscal comme un produit de luxe, d'où l'application des droits d’accises. Ces taxes, historiquement appliquées sur des produits dont on ne souhaite pas encourager la consommation (tabac, alcool) ou sur des produits de luxe (parfums), s’élèvent à 8% sur les télécoms et 5% sur le mobile money. Pour les opérateurs et les partisans de la digitalisation, le maintien de ces droits d'accises sur un outil désormais essentiel à l'éducation, l'économie et à l'inclusion financière est une anomalie fiscale qui entrave la démocratisation de l'accès.
Les opérateurs ont unanimement fait valoir qu'ils étaient prêts à consentir des efforts exceptionnels en contrepartie de la suppression de ces taxes incompréhensibles. Leur argumentaire est étayé par une démonstration économique : la suppression de ces droits d’accises et de certaines taxes sur l'importation de smartphones accessibles (moins de 100$) n'entraînerait aucune baisse des recettes fiscales de l’Etat.
En effet, le GTM, se positionnant comme le premier contributeur fiscal du pays, s'est engagé à garantir 400 milliards d’ariary d’impôts en 2026, même avec ces suppressions. Leur analyse repose sur la dynamique de croissance générée par une baisse significative des prix : des tarifs plus bas augmentent le volume de consommation, attirent de nouveaux utilisateurs (inclusion numérique) et stimulent l'économie numérique, compensant ainsi largement le montant des taxes supprimées. Contrairement à ce qui aurait été suggéré durant l'émission, les opérateurs n'auraient jamais demandé la "suppression de 215 milliards d’ariary d’impôts", mais ont proposé des garanties formelles.
Dilemme et Loi de finances
Le débat a exposé une nette divergence de vues au sein du Gouvernement concernant la stratégie à adopter dans la Loi de finances initiale (LFI) 2026.
D'un côté, on trouve des ministres, à l'image du ministre du Développement numérique et de celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique, qui ont pleinement conscience des enjeux de digitalisation pour le développement accéléré du pays et l'amélioration de la qualité de l'enseignement. Ils soutiennent sans réserve l'idée de détaxer l'Internet pour permettre une baisse immédiate des prix. Le ministre de tutelle des opérateurs leur aurait même garanti son plein soutien.
De l'autre, le ministre de l’Economie et des Finances semble avoir fait d’autres choix. Face aux craintes de manque à gagner immédiat pour le Trésor public, des craintes que les opérateurs assurent pouvoir dissiper grâce à leurs garanties chiffrées, la tendance serait à un report à 2027 pour entrevoir des baisses de prix. Cette position est perçue par certains comme une priorité donnée à l'équilibre budgétaire immédiat sur l'accélération de l'inclusion digitale. Le ministre de la Communication et de la Culture, qui aurait qualifié les opérateurs de capricieux, a d'ailleurs été pointé du doigt par le GTM pour son manque de compréhension des enjeux, contrastant avec l'empressement mis à détaxer, par exemple, l'alcool.
En l'absence de décision claire lors de l'émission d'avant-hier, la finalisation de la LFI 2026 devient l’arène principale où se jouera le sort des prix de l'Internet. Le GTM a lancé un appel direct au Premier ministre et au Président de la Refondation pour améliorer la LFI 2026, arguant que l'Etat n'enregistrera aucune perte fiscale par rapport aux recettes déjà inscrites dans le budget. Les opérateurs restent ouverts au dialogue, se disant même prêts à payer des taxes additionnelles si nécessaire pour combler tout manque à gagner non anticipé pour l'Etat.
En conclusion, la résolution de cette polémique repose sur un arbitrage politique : faut-il privilégier les recettes fiscales immédiates, ou accepter un risque (minime, selon les opérateurs) en échange d'une croissance accélérée par la détaxation et la démocratisation d'un service désormais jugé fondamental ? La réponse dans la LFI 2026 déterminera si Madagascar opte pour l’accélération de son inclusion digitale et financière ou maintient son Internet mobile dans la catégorie des produits de luxe.








