Coup de tonnerre. Le Sénat français vient d’entériner une mesure aux allures de séisme pour tout un pan de l’économie numérique locale. En effet, l’interdiction totale du démarchage téléphonique à compter de l’année 2026 est saluée en métropole comme une victoire contre le harcèlement commercial. Mais c’est tout un pilier entier de l’économie « offshore » qui s’apprête à trembler dans la Grande île. A Madagascar, où le secteur des centres d’appel fait travailler des milliers de jeunes, avec des estimations indiquant qu'il pourrait atteindre jusqu'à 80.000 emplois cette année.
Cette nouvelle soulève autant d’inquiétudes que d'interrogations. « On comprend que ce soit pénible pour les particuliers français de se faire appeler dix fois par jour. Mais ici, ces appels, c’est notre pain quotidien », témoigne Lova, 27 ans, télé-opérateur dans un petit call center sis à Itaosy. Pour lui, comme pour beaucoup de jeunes diplômés, parfois sans autre perspective d’emploi, le centre d’appels constitue un filet de sécurité sociale, aussi précaire soit-il. Si les grandes entreprises d’externalisation comme Webhelp, Vivetic ou encore Konecta (anciennement Comdata) semblent plutôt sereines, c’est une autre histoire pour les micro-structures et prestataires indépendants qui vivent principalement de la prospection téléphonique « B to C » (« Business to Consumers »),qualifiant les relations de professionnels vers des consommateurs finaux.
Tarissement des missions
« Ce sont surtout les petits "call centers" de couloir qui vont payer cher, parce qu’ils bossent presque uniquement sur du démarchage pur, donc vers les particuliers. La raison étant que le taux de transformation de ces démarchages en vente ou en rendez-vous est infime. Ce qui représente un risque de non atteinte d’objectif qui n’intéresse pas les grandes enseignes », confie un ancien cadre dirigeant de Konecta, sous couvert d’anonymat. Dans les grandes enseignes, le démarchage ne représente qu’environ 10 % de l’activité globale, sans compter les prises de rendez-vous « B to B » (« Business to Business ») qui échappent aux contours de la nouvelle loi. Ces dernières pourront donc continuer à exister sous des formes indirectes. Néanmoins, à court terme, l’impact ne sera pas nul. L’interdiction française risque en effet de servir d’exemple à d’autres pays européens, ce qui pourrait accentuer le tarissement des missions déléguées vers des plateformes « offshore ». « Si cette nouvelle mesure s'étend à la Belgique ou à la Suisse, on sera perdu », résume crûment Faniry, manager dans un centre d’appels indépendant d’Ambodivona. Il reste à savoir si le secteur saura pivoter vers d'autres formes d’externalisation plus durables comme le support client, l’animation de communautés ou encore la gestion de contenus digitaux. Mais la transition ne sera pas simple pour tout le monde. En attendant, une partie de la jeunesse malagasy risque de voir disparaître, encore une fois, un maigre mais vital débouché professionnel. « On est toujours les premiers à trinquer quand les riches décident de changer les règles », conclut Lova, désabusé.