D’amblée, l’effectivité de la liberté de la presse alimente toujours des débats à n’en plus finir partout. Elle découle des libertés publiques, « ensemble des droits et des libertés individuelles et collectives reconnus et garantis par l’Etat ». En principe, cette liberté est fonction des humeurs du moment, du contexte dominant et de l’époque.
La liberté de la presse au pays n’est pas insensible aux grandes mutations politiques. En effet, dès le début, la presse malagasy reste prudente sur la question. « La revue fit très peu allusion aux événements politiques, économiques et sociaux du pays à cause de l’absence de liberté de la presse en langue malagasy. Toute critique du Gouvernement était considérée comme un crime de lèse-majesté », devait écrire Josette Randriamanantena en 1986.
Espaces blancs
Au temps de la royauté, sous la colonisation et sous les différentes Républiques, l’administration a toujours à l’œil la presse, considérée comme bel ami et ennemi à la fois. « Le journaliste n’est ni élu ni nommé pour sa compétence. Il se déclare du quatrième pouvoir et agit au nom de l’opinion publique entendue comme liberté d’expression. A la fois industrie, service public et institution politique, ils [les médias] sont d’une grande ambiguïté : de là découlent la plupart des problèmes ».
Les constantes conquêtes et reconquêtes de la liberté de la presse procèdent d’un combat universel, d’où la célébration annuelle de la date du 3 mai. A Madagascar, l’opportunité des discussions sur le sujet est inséparable de la création de l’ordre des journalistes (OJM) dans les sillages des rivalités ouvertes en 1971-1972 entre journalistes de tendances différentes.
Le respect de la liberté de la presse et de la liberté d’expression est des plus médiocres avant cette période à cause du néocolonialisme. La fréquence des pages blanches ou des espaces blancs dans les journaux en vente traduit la violence du régime de censure appliqué à l’époque.
Régime de censure
Le relâchement qui s’en suivra aboutira par contre à un effet pervers. Il faudra alors instituer un organe nouveau et placé sous l’autorité gouvernementale pour tenter de remédier à la situation et d’aplanir les différends entre confrères.
L’ordre aura pour mission
« secrète originelle » de baliser le penchant belliqueux des journalistes avant d’être la garantie symbolique de la mise en valeur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression au sein de la société malagasy du post-néocolonialisme. L’assassinat du colonel Richard Ratsimandrava à Antananarivo le 11 février 1975 donnera lieu au retour du régime de censure qui restera en vigueur durant la Deuxième République jusqu’en 1989.
Le grand changement inévitable dans le monde inhérent à la chute du Mur de Berlin de la même année finira par avoir des échos sur les pratiques démocratiques et médiatiques sur la Grande île. A la suite des mouvements des Forces vives de 1990-1991, un vent nouveau souffle dans le secteur de la presse et des médias en général. L’on assiste alors à l’apparition de nouveaux titres sur le marché.
Clause de conscience
La loi 92-0392 du 14 septembre 1992 est ainsi promulguée pour garantir une tant soit peu liberté de la presse. Mais, à bien des égards, il ne s’agit que de la relative liberté. De fait, la loi offre une sécurité plus pour les investissements privés dans le domaine des médias que pour les journalistes. Ceux-ci sont passibles de peines d’emprisonnement, assorties d’amende des fois.
La situation est restée telle jusqu’à la fin du dernier mandat du Président Didier Ratsiraka (1997-2002) où la censure est adoucie sans pour autant être totalement supprimée. L’autocensure reste alors la règle afin de prévenir les embrouilles. Par ailleurs, les professionnels de l’information s’en tiennent à une clause de conscience contenue dans le Code de déontologie.
En son article 3, celui-ci stipule que « le journaliste a le droit moral de défendre, en tout lieu et toute circonstance, la liberté qu’il a d’informer, de commenter et de critiquer, en tenant le scrupule et le souci de la justice comme règle première dans la publication honnête de ses informations ». Le journaliste jouit d’ailleurs d’une peine privative qui ne sera pas appliquée.
Gênants
Entre-temps, le code de la communication fera son chemin. L’idée est née durant la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse à Ambatonakanga le 3 mai 1999. Pour faire un raccourci, il s’agit du point de départ d’une longue marche ayant abouti à la loi sur la communication médiatisée 2020-006 du 1er septembre 2020 dont il est, entre autres, de dépénalisation des délits de presse.
Les derniers journalistes emprisonnés pour des présumés délits de presse sont ceux envoyés à Antanimora au début du mandat du régime HVM sous le Président Hery Rajaonarimampianina (2014-2018). Mais plus la presse gagne en liberté, plus elle est instrumentée et moins elle prospère. Son essor se mesure plus à la réussite commerciale qu’au respect des principes et valeurs universels.
Aux yeux de certains penseurs du social, les journalistes, en tant qu’intellectuels paraissent trop gênants. Il existe ainsi des « menaces qui pèsent sur la liberté collective des intellectuels, celles qui viennent des pouvoirs politiques, mais aussi celles qui s’exercent à travers les médias ». Mais l’intellectuel serait le dernier rempart de la liberté d’expression. Il doit militer pour elle.
Acquis majeur
Selon le sociologue français Pierre Bourdieu, « parmi les fonctions que les intellectuels peuvent remplir, et qu’ils ont souvent mal remplies dans le passé (…), il en est une que les sociologues peuvent remplir (…), celle qui consiste à donner la parole à ceux qui, pour toutes sortes de raisons, en sont dépossédés. » A Madagascar, la libération de la parole est aujourd’hui un acquis majeur de la démocratie.
Suivant le point de vue de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, « la liberté sera le mieux préservée dès lors que le personnel de la presse et de tous les autres médias d’information s’efforcera constamment et volontairement de maintenir un haut sens de ses responsabilités : la déontologie constitue en effet la meilleure protection ». Malgré tout, l’accès aux sources demeure un obstacle insurmontable pour les journalistes à Madagascar.
M.R.