Publié dans Politique

Recouvrement des avoirs illicites  - « La lenteur de la justice, l'immunité et les privilèges freinent notre action », selon le DG de l'ARAI

Publié le vendredi, 08 décembre 2023

Aimé Rasoloharimanana, Directeur général de l’Agence de recouvrement des avoirs illicites (ARAI), répond à quelques questions autour de son organisation, dernier maillon de la chaîne anticorruption à Madagascar. Il pointe du doigt les obstacles à l’action de la justice en général et de son entité en particulier. Interview.

La Vérité (+) : Pour le profane, concrètement, qu’est-ce que les avoirs illicites ?

DG  ARAI (=) : Les avoirs illicites désignent des biens, des fonds, ou des possessions qui ont été acquis de manière illégale ou contraire à la loi. Ces actifs peuvent résulter de diverses activités criminelles, frauduleuses, ou non éthiques. Les sources courantes des avoirs illicites incluent la corruption, le détournement de biens et de deniers publics ainsi que le blanchiment d’argent.

(+) : Quel est le rôle de l’ARAI ?

(=) : Pour comprendre le rôle de l’ARAI, il est nécessaire de poser le contexte. Pour condamner une personne soupçonnée, il faut établir l’existence de corruption ou de détournement. La procédure judiciaire en ce sens prend beaucoup de temps. A la lenteur de la justice s’ajoutent les différentes sortes d’immunité et de privilèges qui constituent un blocage à l’avancement de la procédure judiciaire. Si on devait attendre les décisions définitives, le risque que les avoirs illicites s’évanouissent dans la nature. Raison pour laquelle il est nécessaire de prendre des mesures dès l’ouverture des enquêtes préliminaires auprès du BIANCO, de la Police, de la Gendarmerie, ou encore de la Direction de la brigade d’investigation financière et de l’audit (DBIFA) auprès du ministère de l’Economie et des Finances. C’est là qu’intervient notamment la saisie ou le gel, mis en œuvre par l’ARAI. Notre entité procède aussi aux confiscations et aux ventes aux enchères publiques des biens d’une personne déclarée définitivement coupable.

 (+) : L’ARAI agit donc en bout de chaîne ?

(=) : Pas totalement. Dans de rares cas, l’ARAI peut aussi agir bien en amont en usant de l’outil inscrit dans l’ordonnance relative au recouvrement des avoirs illicites à l’article 17 qui stipule que « -Sauf prescription, la fuite ou l’impossibilité légale de poursuite de l’auteur présumé ne fait pas obstacle à la saisine de la juridiction de jugement aux fins de statuer sur le sort des biens susceptibles de confiscation ». Par impossibilité légale de poursuite de l’auteur présumé, l’on peut prendre par exemple le décès de celui-ci ou le fait qu’il dispose d’une immunité ou de privilèges quelconques. Nous n’avons pas encore appliqué cette disposition. Mais des réflexions sont en cours pour une éventuelle application de cette disposition.

(+) : En quoi consiste le document présenté cette semaine par l’ARAI ?

(=) : L’ARAI a présenté le 5 décembre dernier sa Stratégie quinquennale afin d’assurer plus efficacement le recouvrement des avoirs illicites. Il existe des lois pour lutter contre la corruption, mais il s’agit ici d’applications concrètes et effectives car il existe désormais une entité chargée du recouvrement des avoirs illicites. La Stratégie quinquennale sur le recouvrement des avoirs illicites a été validée par le ministère de la Justice, en tant qu’autorité de tutelle technique. Le document stratégique a été signé conjointement par l’ARAI et le Directeur général des Affaires judiciaires, des Etudes et des Réformes, représentant le garde des Sceaux ministre de la Justice. A cette occasion, vous avez communiqué des chiffres sur des saisies.

(+) : Quel type d’infraction est le plus commun ayant nécessité ces saisies ?

 (=) : L’ARAI a pu saisir 116 véhicules et geler des fonds d’un montant total de 6 227 581 304 ariary. L’infraction de détournement de deniers publics est la plus dominante parmi les cas ayant nécessité ces gels et saisies, depuis le peu de temps que l’ARAI est opérationnelle. Mais il y a aussi des cas de corruption, d’abus de fonction et de favoritisme dans l’attribution de marchés publics. Les fonctionnaires sont les principaux auteurs des infractions qui reviennent le plus souvent. Mais il y a aussi de simples personnes, des sociétés et même des associations.

(+) : Des entreprises et des associations aussi ?

(=) : Oui. Il faut noter une chose : Nous sommes riches en matière de loi, en matière de lutte contre la corruption. A Madagascar, les personnes morales peuvent être poursuivies. Cela signifie que les entités juridiques, telles que les sociétés, les entreprises, ou d’autres organisations constituées en personne morale, peuvent être tenues responsables devant la justice pour des infractions ou des violations légales. Il existe un nombre non négligeable d’entreprises qui sont auteurs de fraude fiscale, d’évasion fiscale.

(+) : Sur un autre domaine, comment se passent les ventes aux enchères de véhicules saisis telles que celles que l’ARAI s’apprête à faire ?

(=) : L’ARAI peut procéder à une vente aux enchères dans deux cas. Le premier cas est l’application de la disposition légale qui prévoit que les avoirs susceptibles d’être rapidement dépréciés peuvent être immédiatement cédés sur décision de la Chambre en charge du gel, de la saisie et de la confiscation. Leur contre-valeur monétaire sera conservée par l’agence, jusqu’à la décision définitive de confiscation ou de restitution. Le second cas est lorsque la justice prononce une décision définitive. Dans le cas actuel, il s’agit d’un début. Les véhicules saisis commencent à perdre leur valeur. Certains ont notamment été saisis auprès d’autres entités où ils sont entreposés depuis longtemps et que nous avons récupérés après notre opérationnalisation. Il faut les mettre en vente aux enchères tant qu’ils ont encore de la valeur et ne pas prendre le risque de les perdre.

(+) : D’autres vont donc suivre ?

(=) : De nouvelles demandes sont en cours auprès de la CGSC. Il faut commencer petit à petit et gagner en expérience. Les 19 véhicules mis aux enchères à Toamasina et les 12 autres à Antananarivo seront nos premières ventes. C’est vraiment un premier pas. Les avis ont été publiés dans la presse et placardés pour permettre au plus grand nombre de prendre connaissance de ces ventes aux enchères. Les véhicules appartiennent à des hauts responsables dont les affaires en justice sont à faire prendre conscience aux auteurs de corruption que l’ARAI peut procéder à ce genre de ventes. D’autres décisions sont déjà en attente concernant certains des véhicules qui sont entreposés dans nos sites de conservation situés dans des camps militaires, une question de sécurité, à Antananarivo aussi bien qu’à Toamasina, Mahajanga et bientôt à Toliara. Faut-il le rappeler en effet, notre entité a une compétence nationale. Elle peut aussi agir à l’international le cas échéant par le biais de la coopération judiciaire.

 (+) : L’objectif reste cependant la vente après une décision définitive ?

(=) Effectivement. La vente de ces véhicules n’est pas une fin en soi. Ce qui est le plus important serait une accélération de la justice. Que les décisions définitives soient rapidement publiées. Chaque justiciable a le droit de faire appel d’une décision. Cependant, plus vite ces dossiers sont traités, plus vite les deniers publics détournés retourneront dans les caisses de l’Etat. Nous ne pouvons toutefois pas donner d’ordre à la justice. C’est en cela que la stratégie que nous avons mise en place est importante. Elle préconise notamment la mise en place d’une politique pénale pour coordonner le travail entre les différentes entités et définir les infractions prioritaires.

(+) : Pour revenir à cette stratégie quinquennale, quid de sa mise en œuvre ?

(=) : C’est une joie d’avoir cette stratégie nationale. Elle sera menée de 2024 à 2028. Mais sa mise en œuvre nécessite des moyens. Que les structures disposent des moyens de son action. Cela peut être des moyens techniques comme des appuis techniques. La mise en œuvre de cette stratégie nécessite également la contribution de tous, en partant des responsables de la presse, en passant par les organisations de la société civile aux simples citoyens.

(+) : Vous allez vous envoler pour Atlanta. Un lien avec cette stratégie ?

(=) : Je fais partie de la délégation malgache qui va assister à la 10e Conférence des Etats parties à la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC) et se tiendra à Atlanta, en Géorgie (USA). L’ARAI prendra part à cette occasion aux discussions de haut niveau menées sur la corruption en général et dans le domaine du recouvrement des avoirs illicites en particulier.

 

Recueillis par Lalaina A.

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Editorial

  • Quid d’une volonté politique
    En panne d’une réelle volonté politique, la lutte contre la corruption fait du surplace à Madagasikara.Un décalage flagrant s’interpose entre ce qui a été dit et ce qui est fait ! Le pays stagne. Les Indices de perception de la corruption (IPC) éprouvent les peines du monde d’évoluer vers le sens du positif. Plutôt, ils reculent. Quid d’une volonté politique pour cerner ce « mal », la corruption, qui sape le fondement de l’essor de l’économie nationale.Créé le 17 décembre 2004, le Bureau indépendant anti-corruption (BIANCO) fête ses 20 ans d’existence. Immédiatement, la question qui surgit : « quel bilan ? » BIANCO, de par son nom, ambitionne de combattre la corruption à Madagasikara. Après 20 ans, où en sommes-nous ?D’un avis généralement partagé, on hésite. Ecartelée entre une appréciation tranchée de réussite et d’un constat amer d’échec, l’opinion publique vague à l’âme. Le bilan mitigé semble dominer la partie.…

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