« Le 12 février 1975, un mercredi, aux alentours de 13 heures et demie, il recevait une balle en pleine case thoracique tout près de son cœur. Le projectile sortait par son dos et terminait sa lancée dans le mur où il s'enfonçait pour ne plus être visible que du bout. Du sang se répandait à profusion dans la chambre. Pour tenter de calmer sa femme, notre père avait encore le temps de dire qu'il allait bien avant de s'effondrer », fait savoir le témoin oculaire.
Assaut
En toute logique, le déploiement des forces a suivi la fusillade à Ambohijatovo Ambony non loin d'Anjohy, la résidence du colonel. Le Groupe mobile de police (GMP) était accusé d'avoir fomenté l'attentat et devait en subir les conséquences.
Il avait son siège à Antanimora, à l'actuel emplacement du camp Razafindrazaka Berthin à Antanimora, la base de la Force d'intervention de la police (FIP) aussi. Une cérémonie de dotation d'armes et de munitions par l'armée s'y est tenue jeudi dernier.
Un assaut était lancé contre le siège du GMP le jour suivant le crime odieux ayant coûté la vie au Chef
de l'Etat. Les forces déployées réquisitionnaient les habitations aux alentours, y compris la résidence du commissaire Ranaivoson à Ankorahotra au bord de la route circulaire. Son bureau était au rez-de-chaussée et le domicile à l'étage. Le lieu abrite aujourd'hui des activités commerciales florissantes.
Balle perdue
Le commissaire acceptait sans résistance aucune. Par contre, il rejetait de façon ferme l'injonction d'Antanimora qui ordonnait aux agents de police de s'y assembler pour faire le bloc contre les assaillants. L'assaut commençait au début d'après-midi. Dès lors, le commissaire Ranaivoson exécutait fiévreusement des va-et-vient incessants tout près de la fenêtre, à rideau transparent, d'où l'on pouvait avoir une vue sur le champ de bataille à l'est.
Soudain, il s'écria qu'il fut touché en portant ses mains sur sa poitrine. Personne à l'intérieur de la maison n'entendait de détonation, sûrement étouffée par le retentissement des déflagrations et les crépitements du dehors. Pour un moment, l'on croyait qu'il s'agissait de balle perdue. Mais la trajectoire du projectile meurtrier en disait le contraire.
Une forte tempête
La balle partait tout près de la maison, perçait le coin bas de la vitre de la fenêtre pour traverser le corps du commissaire au niveau de la poitrine avant de se loger dans le mur à une certaine hauteur. L'analyse balistique en a fourni la confirmation. La description de la scène donnait alors l'impression que le tireur, qui aurait utilisé un fusil à lunette, s'embusquait non loin de sa cible.
Une ambulance militaire emportait la victime en agonie. L'autopsie était prohibée. Toute la famille devait aussi évacuer le lieu pour y revenir deux jours plus tard. A la grande surprise de la famille endeuillée, la balle qui s'était plantée dans le mur n'était plus à sa place et tout dans la maison était sens dessus dessous comme si une forte tempête s'y était engouffrée. « On était venus chercher quelque chose chez nous », fait remarquer l'un des enfants du sacrifié.
Identité du tireur
La suite de l'histoire était encore plus douloureuse que le drame lui-même pour la famille du commissaire. Sa femme et ses 14 enfants - 7 filles et 7 garçons - étaient soumis à un régime de menace permanente. Un de ses fils faisait des études juridiques à Ankatso. Il était de la même promotion que l'actuelle présidente de l'Assemblée nationale Christine Razanamahasoa et le premier président de la Cour suprême Ranary Robertson Rakotonavalona.
Peut-être par traumatisme, le juriste avait choisi de s'expatrier de son propre chef. Il poursuivait des études en criminologie à l'étranger. Il y restait jusqu'à la fin de sa vie. Il ne visitait son pays natal qu'à deux reprises. Il était resté très discret sur ce qui était arrivé à son père.
Le criminologue, mort d'un cancer, a quand même fini par découvrir l'identité du tireur, un capitaine de l'armée. Celui-ci, déjà sous la tombe aussi, migrait au Canada. Le criminologue l'a appelé pour lui demander pourquoi il a tué son père. Il n'a rien dit de plus ni laissé des documents consultables servant de preuve après.
Symbole fort
Les chercheurs n'ont pas eu l'occasion d'explorer cette autre tragédie inscrite aux pages sombres de l'histoire de la jeune nation malagasy avec le même intérêt accordé à des meurtres sous les Républiques. Elle n'a pas été divulguée durant des décennies à cause de la peur. C'est maintenant que des brimes de renseignement se laissent échapper.
Le vrai mobile du crime dont était victime le commissaire Ranaivoson le 12 février 1975 juste en bas d'Anjohy n'est jamais expliqué. On savait seulement qu'il était originaire d'une région non loin de celle du colonel. Le commissaire recevait aussi une lettre de menace de mort au moment où les causes côtières étaient haranguées. A l'époque, la police nationale était sous la tutelle du ministère de l'Intérieur dont le colonel était un patron.
Depuis la transition (2009-2014), la commémoration annuelle du 11 février 1975 est devenue un symbole fort pour rendre hommage à tous les hommes en uniforme ayant trouvé la mort en plein service commandé. Les hommes comme le commissaire Ranaivoson méritent un hommage particulier.
La Rédaction