Et quand les cataclysmes naturels viennent amplifier ces défaillances, les situations sanitaires des malades concernés par des programmes de santé spécifiques, déjà à l'origine médiocrement dotés, peuvent prendre un caractère dramatique. Et, en fait de cataclysme, la crise de la Covid-19 illustre cruellement comment des programmes de santé peuvent être rendus orphelins par la mobilisation (légitime en soi) médiatique, politique, sanitaire et budgétaire contre le coronavirus.
S'il en est malheureusement d'autres, le cas de la prise en charge de la drépanocytose est, de fait, un cas d'école.
Première maladie génétique au monde, la drépanocytose est une maladie héréditaire caractérisée par une anomalie des globules rouges. Ces globules, déformés et prenant une forme de faucille, occasionnent des caillots dans les vaisseaux à l'origine de nombreuses complications et violentes douleurs. La maladie concerne à Madagascar quelque 10 % de la population. Dans les Régions du Sud-est, la prévalence est de l'ordre de 20 %. Seul un enfant sur cinq, atteint de la forme grave, survit à l'âge de cinq ans.
Si l'espérance de vie des patients drépanocytaires a sensiblement augmenté ces dernières années, la drépanocytose reste une maladie grave, au retentissement majeur sur la vie de ceux qui en sont atteints. La prise en charge des enfants et des adultes devient un enjeu de santé publique, mise, de manière aberrante, au rang des maladies non transmissibles au sein d'une direction du ministère de la Santé publique de Madagascar parce qu'elle ne serait pas contagieuse. Son développement incontrôlé au sein de la population va poser des problèmes de plus en plus cruciaux tant sur le plan politique que sur le plan budgétaire.
Pour autant, maladie héréditaire, elle est transmissible. L'éducation des populations et le dépistage systématique sont essentiels pour espérer contrôler le développement d'une pathologie dont la prévalence à Madagascar semble (est) en constante augmentation faute de programme soutenu.
Pourtant, malgré ces enjeux, les actions de lutte contre la drépanocytose, coordonnées par l'ONG LCDM, restent aujourd'hui majoritairement financées par le secteur privé, par l'aide internationale et la solidarité du grand public. Ces ressources ne suffisent désormais plus pour satisfaire l'ampleur de la tâche et des besoins qu'exigent la lutte et la prise en charge de ce fléau à l'échelle de tout le pays.
La crise Covid-19 et le bruit médiatique, politique, sanitaire et budgétaire autour, ont exigé une réallocation en urgence, heureusement autorisée par certains financeurs (REAL DCI de Monaco+ PROBITAS), des lignes budgétaires de ce programme privé pour pouvoir intervenir et soutenir les malades fragiles de manière décentralisée sur l'intégralité du territoire.
La faiblesse des financements imposait une sectorisation des soins. L'ONG LCDM Solimad s'est retrouvée confrontée à un problème d'éthique et d'équité de soins. Afin de continuer à prendre en charge les malades et les familles des régions qui n'étaient pas prises en compte par les programmes et projets en cours, c'est sur leurs fonds propres (cotisations, dons) que les membres de LCDM, familles de malades et médecins à Madagascar ont dû contribuer pour leur survie.
La seule focalisation sur la prise en charge de la Covid, qui va laisser les autres programmes de santé orphelins, peut voir l'Etat être à terme confronté à une explosion dramatique des cohortes de malades… Et être confronté à des coûts humains dramatiques bien au-delà des coûts financiers.
C'est là un argument qui doit être martelé auprès des politiques, des décideurs nationaux et des partenaires techniques et financiers. Il faut cesser de voir à court terme. Il ne faut pas laisser la politique prendre le pas sur les enjeux réels de santé publique. Il faut penser de manière élargie et caractériser comment la question de la prise en charge de la Covid peut relever d'une prise en charge transversale des autres problèmes de santé.
Pascale Tuseo Jeannot, présidente de l'ONG LCDM Solimad