La Vérité (+) : Qu'est-ce qui vous a poussé à briser le silence suite à ce que vous avez enduré durant l'enfance ?
Marie Christina Kolo (=) : Après mes études à l'étranger, j'ai travaillé dans plusieurs pays, comme l'Inde, la Chine, la France, le Sénégal, avant de revenir à Madagascar il y a 7 ans. J'ai ensuite travaillé aux Nations unies avant de démissionner au bout de 2 ans. Je me suis alors lancée dans l'activisme en créant ma propre organisation, le « Green N kool », lequel mène un combat par rapport à l'environnement et l'implication de la jeunesse. Nous avons gagné plusieurs prix nationaux et internationaux puisque l'organisation est devenue une référence. Beaucoup se disent que je suis une femme forte qui réussit tout ce que j'entreprends, alors qu'au fond de moi, j'étais une victime encore brisée, pas totalement guérie des agressions sexuelles que j'ai subies dans mon enfance. Ma visibilité a été le déclic pour en parler. C'est en 2018, lors d'une conférence à l'occasion du 8 mars à l'Is'art galerie, que j'ai décidé de dire en public ce qui m'était arrivée. Tout ceci afin que d'autres victimes et survivantes puissent ne plus avoir peur de parler, en se référant à mon vécu et à ma réussite malgré tout.
(+) : Comment se manifeste la « culture du viol » dont vous parlez souvent à Madagascar ?
(=) : La culture du viol existe bel et bien à Madagascar. Cela se manifeste par le fait qu'actuellement, ce sont les victimes qui ont honte de ce qui leur est arrivé. Celles qui osent en parler sont considérées comme des obsédées, des criminelles et sont juste traitées de dégueulasses, notamment sur les réseaux sociaux. En parallèle, les violeurs restent souvent impunis, voire protégés, avec très peu de condamnations faute de preuves. De plus, 80% des violeurs sont des personnes proches des victimes dont des membres de leurs familles. Seuls 7% d'entre les auteurs de viol ont des problèmes mentaux. D'un autre côté, les agresseurs sexuels aiment contrôler et dominer leurs victimes. Certaines d'entre elles s'attachent à leurs violeurs, en étant dominées et en pensant que « peut-être, ils les aiment ». Le pire c'est que des parents forcent même leurs enfants à se marier avec leurs violeurs. Subir des agressions sexuelles reste traumatisant. Dans la plupart des cas, les victimes tombent souvent en dépression, au point de vouloir se suicider. D'autres font face à des troubles alimentaires tandis que certains se culpabilisent, en pensant que c'est de leur faute. Pour mon cas, j'ai eu une amnésie post-traumatique, tellement j'ai souffert que mon cerveau a préféré tout oublier. Je pleure quand je vois une petite fille toute nue. Les gens disaient que je suis trop émotionnelle avant de connaître mon histoire.
(+) : Quelles activités menez-vous contre la culture du viol et pour venir en aide aux victimes ?
(=) : En tant que survivante, je mène un combat contre la culture du viol. La route est encore longue parce que l'Etat ne nous protège pas. En fait, il n'y a pas assez de centres d'urgence pour accueillir et écouter les victimes. Ces établissements de prise en charge intégrée restent fermés les week-ends. Si par exemple une fille ou femme se fait violer un samedi, elle doit attendre le lundi prochain pour pouvoir y faire sa déposition. Pire, la Police ne sait pas accueillir les victimes, en insistant plutôt sur les preuves que les faits. Il en est de même pour des centres hospitaliers, où les agents « maltraitent » les victimes de viols. Nous sommes dans une société qui se dit que les impacts psychologiques des agressions sexuelles ne sont pas graves. Il n'y a pas assez de psychologues pour écouter et conseiller les victimes. Face à une telle situation, j'ai lancé le mouvement « women break the silence » afin de venir en aide aux survivantes. Nous leur assurons les premières urgences psychologiques, en plus de leur orientation et accompagnement auprès des entités concernées, à l'exemple de la Police. Donner la parole à ces victimes s'avère nécessaire afin qu'elles puissent briser le silence et se délivrer d'un poids énorme qui leur pèse.
(+) : Pensez-vous que les victimes de viols ou d'inceste devraient bénéficier de l'interruption thérapeutique de grossesse ?
(=) : L'ITG devrait être un choix. Obliger une victime de viol à garder un enfant de son agresseur constitue une deuxième agression. Comment voulez-vous qu'une femme en dépression ou qui souffre de problèmes psychologiques puisse élever un enfant ? Les survivantes ont le droit de se soigner elles-mêmes. J'ai pu faire face à des cas où les victimes de viols sont tombées enceintes et, en gardant leurs enfants avec la pression familiale et la honte de la société, elles ont fini par haïr ou abandonner leurs petits. Personnellement, j'ai eu mes règles quand j'avais 9 ans. J'aurai pu tomber enceinte avec les viols dont j'ai subis. Si la société me forçait à garder cet enfant, mon traumatisme serait encore plus grave. Tout cela pour vous dire que je soutiens l'ITG pour les victimes de viols et d'inceste. Pourtant, des survivantes tombent enceintes et gardent les enfants contre leur volonté. Le pic des cas de grossesse suite à des viols a été enregistré durant la deuxième vague de confinement. Des personnes en situation de handicap font partie des victimes.
Si je peux donner des conseils aux survivantes d'agressions sexuelles, il faudrait oser en parler, briser le silence et ne surtout pas se culpabiliser. Vous n'êtes pas seules. Il y a beaucoup de structures pour vous écouter et vous aider. Nous vous accueillons à bras ouverts et prêtons une oreille attentive.
Propos recueillis par Patricia Ramavonirina