C’est grâce au procédé de séquençage génétique que les scientifiques sont parvenus à élucider quelques mystères concernant ces grenouilles du genre Mantidactylus qui compte désormais un nouveau membre.
Selon l’article du Journal of Natural History publié en mai, le genre Mantidactylus à Madagascar comptait 32 espèces de grenouilles scientifiquement reconnues. Depuis longtemps, deux d’entre elles — des grenouilles géantes endémiques de l’île — retenaient l’attention des chercheurs : M. guttulatus (nom vernaculaire : radakabendrano) et M. grandidieri (nom vernaculaire : radakabe ny alatsinanana). L’analyse génétique de ces espèces a permis aux chercheurs de découvrir que les Mantidactylus géantes comprenaient non pas deux mais trois espèces de grenouilles. La troisième sera appelée M. radaka en référence au nom commun radaka
. « Il est fort probable que d’autres espèces appartenant au même groupe existent », remarque Christian Randrianantoandro, biologiste à l’Université d’Antananarivo, coauteur de l’article consacré à l’étude. « Mais le temps de les identifier avec exactitude n’est pas encore venu. Les données à leur sujet restent largement insuffisantes à ce stade. »
Seule l’étude en laboratoire a permis de les différencier. Sur le plan morphologique, il est facile même pour les plus initiés de confondre M. guttulatus et M. grandidieri, tellement elles se ressemblent. La nouvelle espèce M. radaka présente toutefois quelques différences : son oreille est peu visible et les pattes de la femelle ont des glandes imperceptibles.
« Elles sont étonnamment difficiles à distinguer les unes des autres », dit Mark D. Scherz, biologiste à l’Université de Munich, coauteur de l’article « Pourtant, génétiquement, c’est très différent. »
Pour résoudre l’énigme, les scientifiques ont recouru à des échantillons de plus de 120 ans conservés au British Museum of Natural History à Londres et au Muséum national d’histoire naturelle à Paris ainsi qu’à des matériaux génétiques prélevés en milieu naturel entre 2000 et 2016.
M. guttulatus, M. grandidieri et M. radaka sont trois espèces endémiques à Madagascar vivant principalement dans les forêts longeant les rives des cours d’eau. Elles possèdent une large distribution délimitées sur plusieurs territoires. M. guttulatus occupe les régions du Sud-Est de l’île entre Ivohibe et Fierenana. L’aire de M. grandidieri s’étend sur un territoire assez vaste au Nord-Est entre Mangabe Moramanga et Marojejy. Quant à M. radaka, elle colonise plutôt la zone septentrionale entre la réserve spéciale de Manongarivo et le district de Bealanana.
Nirhy Rabibisoa, spécialiste des amphibiens à l’Université de Mahajanga de Madagascar qui n’était pas impliqué dans l’étude, explique que la description de M. radaka amène le nombre d’espèces de grenouilles scientifiquement décrites à Madagascar à 362. Selon les estimations, Madagascar en aurait en réalité près de 500, ce qui représente 9 % de la population mondiale d’amphibiens. Cette découverte apporte un nouvel éclairage sur les questions de préservation de la biodiversité et gestion de stocks de grenouilles malgaches.
Dans des villes malgaches, il est fréquent que les restaurants proposent des beignets de grenouilles. A la campagne, la chasse dans les marécages est très facile. Même les enfants peuvent les attraper. Les villageois font aussi de l’élevage dans des puits ou étangs privés.
Qu’elles soient chassées pour la consommation locale ou pour l’exportation, la classification scientifique projette ces espèces dans l’ère de la traçabilité. En revanche, les réglementations qui régissent la biodiversité à Madagascar nécessitent d’être actualisées.
« Puisque les gens la consomment alors qu’ils s’adonnent au défrichement sans frein dans le Nord, elle est probablement menacée », explique Scherz. En effet, Madagascar connaît un rythme de déboisement accéléré. Selon les spécialistes, la destruction des forêts pourrait précipiter la disparition des espèces faisant l’objet de chasse non contrôlée.
Les scientifiques et les conversationnistes estiment qu’une étude écologique sera nécessaire pour déterminer le statut de la nouvelle espèce selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). Par le décret 2006-400 du 13 juin 2006, l’État malgache émet le classement de la faune sauvage, dont les espèces Mantidactylus sont considérées comme animaux protégés ou gibiers. Ce décret nécessite une mise à jour.
Il est primordial, selon Scherz, de protéger les forêts longeant des cours d’eau puisqu’elles protègent, entre autres, ces grenouilles. « Il est souhaitable qu’une enquête soit menée auprès des villageois pour déterminer la fréquence de consommation des Mantidactylus et la longueur du chemin parcouru pour les chasser ainsi que pour savoir si les gens ont observé un déclin du nombre de spécimens dans les rivières où ils ont l’habitude de les attraper. » indique l’expert.
Citation : Rancilhac, L., Bruy, T., Scherz, M. D., Pereira, E. A., Preick, M., Straube, N., … Vences, M. (2020). Target-enriched DNA sequencing from historical type material enables a partial revision of the Madagascar giant stream frogs (genus Mantidactylus). Journal of Natural History, 1-32. doi:10.1080/00222933.2020.1748243
Rédigé par Rivonala Razafison. Edité par Valentine Charles.
Lien : https://fr.mongabay.com/2020/06/une-nouvelle-espece-de-grenouille-geante-decouverte-a-madagascar/