+ : Qu’est-ce qui vous a marqué une fois sur place?
= : Après la montée, je croisais le couple Ratefy. Il avait une école technique privée dans les parages. Sa voiture 3CV était garée juste sur la rive gauche de la rue. Puis, je passais devant une épicerie tenue par un étranger avant de traverser l’intersection devant le commissariat d’Ambohijatovo Atsimo pour atteindre l’enceinte de l’établissement Paul Minault. J’apercevais de l’autre côté de la rue deux hommes en uniforme armés de fusils postés devant la porte du commissariat. Fermé pour cause de réhabilitation, le service était temporairement transféré à Ankorahotra. Quatre rues se rencontrent à cet endroit : une venant d’Ambatonakanga en contrebas, une menant vers Andohalo en passant par Ambatovinaky (celle-ci sépare le commissariat de l’enceinte de Paul Minault), une menant vers la descente d’Anjohy là où résidait le colonel Richard Ratsimandrava et une autre se dirigeant vers le quartier de Faravohitra. La résidence par-derrière le commissariat était la maison de Louis Rakotomalala, ancien ambassadeur de Madagascar à Washington. Le portail de Paul Minault était juste en face de cette résidence privée (ndlr : devenue résidence de fonction du ministre Paul Rabary, 20014-2018).
+ : Il n’y avait que ces deux hommes armés alors ?
= : Non, il y en a aussi deux autres. Un devant l’épicerie-gargote au corner des rues Andohalo-Anjohy, juste en contrebas du terrain de Paul Minault, et un autre juste en face de moi sur le trottoir est de l’intersection. Ils étaient tous armés aussi. Dès que je les voyais, je me disais que la sécurité allait revenir, allusion faite à la réouverture prochaine du commissariat. C’est ce qui m’était arrivé à l’esprit. Aucun d’eux ne m’adressait parole alors qu’ils m’ont tous vu.
+ D’autres détails significatifs sur le lieu ?
= : Personne n’a jamais tenu à insister sur la présence d’un trou béant en pleine « rue présidentielle ». C’était juste à quelques pas de la stèle commémorative. La société Eau et Electricité de Madagascar (EEM, devenue Jirama) avait ouvert le trou afin de réparer des installations dedans près d’une semaine avant le crime. Le chantier était protégé par des rubans jaunes en guise de périmètre de sécurité.
+ : Et le cortège de Ratsimandrava arriva…
= : Alors que je n’avais pas le temps d’entamer la traversée de l’intersection, j’entendais la sirène du motard annonçant le passage imminent du cortège présidentiel en provenance d’Ambatonakanga. Je m’arrêtais pour voir « Dadatoa » passer. Nous appelions ainsi le colonel au couvent. Une durée d’environ 3-4 minutes séparait le passage du motard et celui de la Jeep pleine de militaires lourdement armés au-devant de la 404 Berline de couleur noire transportant le colonel depuis son bureau à Anosy. Puis, le véhicule se présentait devant le commissariat. Mais l’existence du trou en ralentissait de façon obligatoire la progression. La voiture avançait à une allure réduit. La première Jeep était déjà à quelques dizaines de mètres de là sur la route d’Anjohy. Les deux hommes devant le commissariat ouvraient alors le feu sur la 404 Berline. C’était à bout portant avec l’aide de la rétrogradation forcée. J’étais à moins de 10 mètres des assaillants et de leur cible. J’ai vu de mes propres yeux le chauffeur en train de s’effondrer sur son volant. J’ai vu aussi l’homme du banquet arrière, à la place de Ratsimandrava, en train de faire de même. Puis, la voiture faisait marche arrière en percutant la porte du commissariat. Les tirs continuaient des plus belles à ce moment-là. J’ai vu mourir Ratsimandrava. Tous les occupants de la 404 ont tous perdu la vie.
+ : Qu’ont-ils fait les gardes dans les deux voitures d’escorte à ce moment-là ?
= Les gardes dans la Jeep du devant ont riposté dès les premiers coups de feu. Les deux tireurs du devant le commissariat se sont retirés en courant vers Andohalo. L’homme armé posté devant l’épicerie-gargote en bas de la clôture de Paul Minault s’est exécuté de même. Il n’était pas dans le viseur des gardes de la première Jeep, le coin étant en forme de courbe. Par contre, l’un des deux hommes du devant du commissariat est tombé sous les balles. A une vingtaine de mètres de là, au niveau de la maison de Louis Rakotomalala, une voiture Renault 6 attendait les tireurs, le moteur toujours en marche. Dès que les deux s’y sont introduits, la voiture répartit à la vitesse de l’éclair. Les gardes ont arrêté de tirer et de courir dès que la voiture s’en est allée. J’en ai profité pour accourir à la hâte vers le portail de Paul Minault. Je n’ai pas pu relever le numéro de la plaque numérologique de la R6.
+ : Et ?
= : Les coups de feu ont réveillé tous les quartiers environnants. Y compris les pensionnaires du couvent. Ils m’ont demandé ce qui se passait dehors dès qu’ils m’ont vu franchir le portail de l’établissement. Je leur disais que Dadatoa était mort. Puis, nous nous mettions aux abords de la clôture pour observer discrètement la scène du dehors. Nous avons vu un homme à terre à quelques mètres de la porte du commissariat. J’ai appris plus tard qu’il s’agissait de Zimbo, un élément de l’ancienne Force républicaine de la sécurité (FRS) devenue Groupe mobile de la police (GMP). Il y avait aussi un autre mort fusillé (ndlr : Maraseta) par les militaires de la deuxième Jeep en contrebas du commissariat. Je n’ai jamais remarqué la présence de ce cinquième élément. Mais je n’ai pas vu où est allé l’homme armé qui était devant moi sur le trottoir. Je ne savais pas s’il s’est replié vers l’escalier au-dessus du tunnel d’Ambanidia ou a pris une autre direction.
+ : Qu’ont-ils fait les éléments de la sécurité entre-temps ?
= : Nous avons vu seulement qu’ils ont installé des fusils avec trois pieds (ndlr : FM ou fusils mitraillettes) sur la chaussée comme ils attendaient à une nouvelle attaque ou autre..
+ : Que s’est-il passé après ?
= : Le colonel Roland Rabetafika, le directeur de cabinet militaire du général Gabriel Ramanantsoa, habitait non loin. Il accourut vers le lieu du drame. Il était le premier à y venir en criant : « Richard ! Richard ! Richard ». Puis, Mijoro (ndlr: Rakotomangamijoro) aussi était venu. Il était également colonel à l’époque si je ne me trompe pas. Un quart d’heure ou vingt minutes plus tard, deux officiers ont débarqué au couvent. Ils ont demandé si jamais quelqu’un de la place a vu ce qui venait de se produire à côté. Tout le monde a désigné le « Baralahy ». Tel était mon surnom car j’ai grandi en pays bara (Ihorombe). Les deux officiers se sont alors présentés : le lieutenant Robel et le capitaine Rabialahy. Ils m’ont amené à Mahamasina, plus précisément au bureau de la gendarmerie à Ankadilalana. Je ne sais plus ainsi ce qui aurait pu se passer à Ambohijatovo à partir de là. Pour le besoin de l’enquête, j’y étais retenu presque une semaine durant
+ : Vous n’avez rien remarqué le jour du 11 février ?
= J’étais surveillant au Paul Minault. Ce 11 février 1975, lorsque le cortège passait aux alentours de 7 h 30, tout le monde se disait : « Tenez, c’est Dadatoa » en se ruant vers les fenêtres pour admirer son passage. J’ai pu remarquer que sa sécurité était composée des bérets rouge, noir et grenat (des parachutistes d’Ivato). Tous y étaient représentés, à mon avis. Il y avait un petit jardin en face du commissariat. En tant que surveillant, je m’y suis promené et ai observé la présence d’André Resampa et consorts sur cet espace aux environs de 8 h 30 ce jour-là. Je me suis alors demandé sur ce qu’ils sont venus faire à ce lieu à cette heure.
+ : Voulez-vous en dire plus sur l’interrogatoire à la gendarmerie ?
= : D’emblée, j’y étais bien traité. Nourriture… et tout. Ils m’ont posé beaucoup de questions. J’ai raconté tout ce que j’ai vu. Ils m’ont demandé si le colonel était déjà mort avant la fusillade. J’étais formel. Je l’ai vu en train de s’effondrer à la suite des coups de feu. Le total de ma déposition à la gendarmerie faisait un document de 50 pages que j’ai signé page par page. Après, mes enquêteurs m’ont conseillé de rester discret pour ma propre sécurité. Les Ratefy aussi étaient convoqués. Mais les enquêteurs ne sont pas appesantis sur eux. C’étaient de vieilles personnes. Le capitaine Rabialahy a diligenté l’enquête. Quant au lieutenant Robel, je n’ai plus entendu parler de lui. Même jusqu’à aujourd’hui.
+ : Vous étiez forcément passé par le tribunal après coup ?
= : Le procès a démarré le 11 mars de l’année. J’étais convoqué de nouveau à Ankadilalana avant d’être conduit au tribunal à Anosy. Deux gendarmes m’ont escorté. On m’interdisait d’adresser la parole à quiconque. Dans la salle d’audience, j’ai vu les André Resampa, Gabriel Ramananjato assis sur le premier banc. J’étais constamment dans tous les journaux en tant que premier témoin. Le procès terminé, j’étais une fois de plus convoqué à Ankadilalana des mois plus tard plus précisément à la suite du crash d’avion ayant coûté la vie au colonel Joël Rakotomalala, alors Premier ministre, et consorts à Ankazomiriotra Antsirabe le 30 juillet 1976.
Propos recueillis par La rédaction