La Vérité (+) : Que vous est-il arrivé exactement ?
Joël Talata (=) : C’était triste. J’ai 84 ans. Ils m’ont arrêté chez moi comme si j’étais un bandit notoire. Je suis quand même un tangalamena. Je n’ai jamais été arrêté ni accusé pour quoi que ce soit dans ma vie. Ils (ndlr : deux femmes, trois hommes et six gendarmes envoyés du directeur régional de l’Environnement et du Développement ou DREDD d’Atsinanana) ont débarqué chez moi à 5 heures du matin. Ce dimanche (ndlr : et non samedi comme rapporté auparavant), je me suis apprêté à allez à la messe. Notre église (ndlr : catholique) a organisé une fête ce jour-là. On m’a dit de sortir car des gens sont venus me chercher. J’ai laissé mon chapeau dans la maison. Ils m’ont de suite enjoint de les suivre sans demander. Je leur ai dit d’aller d’abord récupérer mon chapeau. Mais ils ne m’ont pas laissé faire (ndlr : se coiffer d’un chapeau est un acte chargé de la sacralité pour un tangalamena).
(+) : Que s’était-il passé après ?
(=) : « Nous avons un travail à faire dans la
forêt », m’ont-ils lancé. Ce sont les gendarmes qui ont parlé à tous les coups. Les subalternes du DREDD ont fait savoir qu’ils ont été tout simplement envoyés en mission par leur chef. Nous avons attrapé un homme en flagrant délit dans la forêt. Il était ligoté. Il pleuvait beaucoup toute la journée. J’étais tout trempé. Je n’ai pas eu mon chapeau sur ma tête. Je n’ai eu qu’une chemise sur moi. Nous n’avons rien mangé. A 15 heures, ils nous ont conduits à l’hôtel de Sylvain, le Palmarium. Ils nous y ont alors désignés des pilleurs de la forêt de Vohibola pris en flagrant délit, nous aussi, d’après eux. Pourtant, c’est nous qui la protégeons depuis longtemps.
(+) : Puis après ?
(=) : Le lendemain, ils nous ont conduits à Toamasina. Nous y étions placés en garde à vue dans l’enceinte de la DREDD. Pire, nous avions les yeux bandés comme des criminels. Des journalistes étaient appelés à nous photographier et filmer dans l’après-midi. Mardi un peu avant 11 heures du matin, ils m’ont libéré avec Victor. Si les droits de l’homme existent réellement, je prie instamment les autorités à considérer d’urgence notre cas. Nous étions déshonorés et diffamés aux yeux du monde entier. Nous étions souillés. Nous demandons à être lavés et dédommagés. Je ne l’accepterai jamais tant que nos honneurs ne nous seront pas restitués (ndlr : cela veut dire ce que cela veut dire). Nous étions purement et simplement kidnappés. Si j’ai commis une faute, je me tiens prêt à subir les enquêtes.
(+) : Justement, vous ont-ils infligé des traitements dégradants ?
(=) : Non. Par contre, les gendarmes tenaient des propos blessants qui nous ont moralement torturés. Ils nous ont causé tant d’affliction. Ils étaient ivres. Trois d’entre eux l’étaient complètement dans la soirée de dimanche. Ils nous ont même traités d’adorateurs de sampy en tant que croyants catholiques. Une scène de brutalité était sur le point d’éclater dans la cour de mon ami Victor au moment de son arrestation. Cela aurait été la vengeance du DREDD et du maire
(ndlr : celui d’Ambinaninony) contre nous, à mon avis. Ils nous ont soupçonnés d’avoir terni l’image de la commune dans le monde après que l’information sur la destruction de la forêt a fait le tour de l’univers. Victor Rasoa :(ndlr : comme Joël Talata était privé de son sacré chapeau, son téléphone a été confisqué par les gendarmes). Je suis d’obédience catholique depuis ma naissance. Je ne me suis jamais séparé de mon chapelet que je porte nuit et jour autour de mon cou. Les gendarmes m’ont sommé de l’ôter de mon corps. J’ai carrément refusé. L’un d’eux a voulu me l’arracher de force en le happant. Mais j’ai toujours résisté en tenant sa main. C’était un gendarme deux barrettes (ndlr : gendarme de deuxième classe) en poste à Brickaville. Il était parmi ceux sous l’emprise de l’alcool. Je ne connais pas son nom. « Vous, les catholiques, sont des adorateurs de sampy », m’a-t-il lancé à la figure en cherchant à m’arracher de force le chapelet qui pend sur ma poitrine.
Propos recueillis par M.R.