La Vérité (+) : Que pensez-vous de la nouvelle proposition de loi qui crée une polémique en ce moment ?
Maître Andriamanalina (=) : L'amendement à l'article 16 de la loi n° 68-012 du 04 juillet 1968 relative aux successions, testaments et donations, si elle est adoptée, constitue une réforme majeure de notre législation sur la succession. La loi datant de 1968 n'a pas connu de modification depuis sa création, c'est-à-dire depuis plus de 53 ans. Il est bon que toute loi évolue dans le temps pour s'adapter à l'évolution de la société et des nouveaux rapports humaines. En fait, l'article 16 actuel classe le conjoint survivant à la 8ème place des héritiers, après les cousines germaines ou cousins germains et devant l'Etat. Ceci en l'absence de testament ou si la succession est partiellement testamentaire. Mais le nouvel article 16 proposé le place à la 3ème position, derrière les enfants et petits-enfants. La loi a été établie suivant l'esprit du législateur de 1968, conformément à ce qui lui semblait être bon pour ses concitoyens à l'époque. Mais les choses et la vie ont changé entre-temps.
(+) : Avez-vous déjà fait face à un problème relatif à cet ordre de succession ?
(=) : Suivant la loi dans sa rédaction actuelle, le conjoint ou la conjointe survivant ne succède à son époux/épouse prédécédé que si celui ou celle-ci n'a pas laissé d'enfants, de petits-enfants, de parents père et/ou mère vivants, des collatéraux frères et sœurs, des neveux et nièces, des oncles et tantes ou encore des cousins et cousines germaines. De ce fait, il est passé dans la connaissance et la croyance populaires que le veuf ou la veuve n'hérite pas en cas de décès de l'autre époux. Un cas d'illustration : une personne mariée décède. On sait qu'elle ne laisse pas d'enfant(s) et de petit(s)-enfant(s) et qu'elle n'a pas fait de testament. On ne connait pas ses parents proches ou éloignés. Cela arrive plus souvent que l'on ne l'imagine. Quand de tel cas se présente, on ne peut pas régulariser la succession du défunt car on ne connait pas ses héritiers. D'autre part, à défaut de cette régularisation, le conjoint survivant ne peut pas reprendre sa part dans la communauté. Droit qui lui est normalement reconnu à la dissolution du mariage.
(+) : Qu'apporte la nouvelle proposition de loi face à une telle situation ?
(=) : L'article 16 proposé apporte la solution. Il n'est plus nécessaire de rechercher les proches parents d'une personne décédée qui n'a pas laissé de descendance. Le conjoint survivant lui succède. Je dois préciser ici que la proposition de loi apporte une alternative formelle et légale à une pratique ancrée dans nos coutumes et qui a existé avant même l'introduction du droit écrit dans notre pays, le « Mpivady mifanjanaka ». Deux époux qui n'ont pas d'enfant s'adoptent mutuellement pour éviter que le conjoint survivant ne soit écarté de la succession par l'effet de la coutume ou de la loi et se retrouve dans une situation de précarité sinon de conflit avec les autres héritiers normaux. La perte d'un conjoint, un être cher surtout quand on n'a pas eu d'enfant, est déjà en soi un évènement douloureux et traumatisant. Le nouvel article 16 permet de ne pas y ajouter en plus les soucis d'une succession mal réglée ou non réglée. Dans tel cas, la proposition de loi protège les époux sans qu'ils aient besoin de faire un testament ou une donation l'un en faveur de l'autre où qu'ils doivent faire le « Mpivady mifanjanaka ».
(+) : Quels biens ou héritages sont concernés dans l'article 16 de la loi relative aux successions ?
(=) : Cet article concerne l'ensemble du patrimoine laissé par un défunt : s'il est marié, sa part dans la communauté, c'est-à-dire la moitié des biens acquis au cours du mariage mais également tous ses biens personnels - c'est-à-dire tout ce qu'il a acquis avant le mariage soit par son propre travail, soit qu'il a recueilli par donation ou encore par succession, y compris sa part dans les biens de la lignée de son père et ceux de la lignée de sa mère, s'il y en a. Dans le cas du défunt marié, le conjoint survivant qui hérite de son époux prédécédé sans descendance se retrouve copropriétaire des biens ancestraux de son défunt époux si la proposition de loi est votée. C'est un peu ce que le Législateur de 1968 voulait éviter. Cela pourrait engendrer des tensions voire des conflits. Certains membres de la famille du défunt peuvent ne pas apprécier le fait que sa veuve hérite des biens ancestraux. La proposition de la députée Lanto Rakotomanga doit prendre également en considération ce point particulier. Ceci dit, il faut toujours remettre les choses dans leur contexte. Le mariage civil ne concerne pas la majorité de nos concitoyens, tandis que les époux qui ne laissent pas de descendance restent heureusement exceptionnels. A préciser que l'institution de l'adoption est une solution légale bien connue et largement utilisée.
(+) : Quels sont les rôles ou missions du notaire face aux conflits liés à la succession ou le testament?
(=) : Rien ne dérange le plus les notaires que des familles qui s'entredéchirent à la suite de l'ouverture d'une succession. Nous sommes formés pour concilier les parties et trouver une issue à l'amiable. Nous développons quotidiennement expérience et expertise en ce domaine. Mais quand les parties décident de passer outre nos conseils et recommandations et confient leurs affaires aux Tribunaux, choix que nous respectons, nous ne pouvons que leur souhaiter bonne chance et bon courage. Mais je tiens à préciser ici que l'intervention des notaires n'est pas limitée aux testaments et successions. Nous accompagnons nos concitoyens, les familles et les entreprises tout le long de leur vie par nos actes mais aussi par nos conseils, de la naissance ou la création en passant par le mariage, les acquisitions de patrimoine et les ventes éventuelles.
Propos recueillis par Patricia Ramavonirina