La Grande Île s’embrase, “tout feu, tout flamme” au sens propre du terme. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, les flammes dévorent forêts, broussailles et champs, laissant derrière elles un paysage noirci et la désolation. Malgré les millions de dollars investis chaque année pour la préservation de l’environnement, Madagascar continue de brûler : près de 6 millions d’hectares sont réduits en cendres chaque année.
Quels sont les facteurs qui déclenchent ces incendies ? Quelles en sont les conséquences sur les populations, la biodiversité et le climat ? Et si les arrêter complètement paraît impossible, quelles mesures peuvent encore limiter leur ampleur ? Ce dossier explore ces questions à travers les causes naturelles et humaines des feux, leur impact économique et écologique, ainsi que les stratégies locales et nationales pour tenter de protéger ce qui reste de l’Ala Atsinanana et des autres forêts emblématiques de la Grande Île.
L’urgence palpable sur le terrain
“Na ho tapitra aza ny Ala Atsinanana “, disaient nos arrière-grands-parents pour parler de ce qui n’arriverait jamais. La forêt de l’Est, tapissée d’arbres géants, bruissant de vie, paraissait éternelle. Dans l’imaginaire collectif, elle incarnait l’inépuisable, l’indestructible. Employer ce proverbe, c’était convoquer l’évidence : impossible que l’Ala Atsinanana disparaisse, tout comme il serait impensable qu’un jour le soleil oublie de se lever. Aujourd’hui, ce dicton résonne comme une ironie cruelle. Chaque saison sèche, Madagascar s’embrase : des collines rouges de l’Imerina aux lisières luxuriantes de l’Est, en passant par les savanes du Sud, les flammes avancent, implacables.
“Sur la route nationale 7, du côté du plateau de Ihorombe, alors que nous revenions d’une mission dans le Sud, une lueur inhabituelle s’est dessinée à l’horizon. Les flammes dévoraient les collines avec une intensité inquiétante. Des habitants, armés de simples branches, tentaient de contenir l’incendie avec des moyens dérisoires. Le feu était fort, le vent instable, et la fumée épaisse.
Sur place, l’urgence était palpable. Les villageois nous ont fait signe de ne pas nous arrêter. ‘Passez vite, accélérez entre les fumées’, nous ont-ils lancé, le regard tendu. Nous avons suivi leur conseil, le cœur battant, les vitres fermées, les yeux rivés sur la route. Le souffle brûlant du feu, les volutes de fumée, l’odeur âcre… tout rappelait que dans ces régions, même le retour d’une mission peut devenir une traversée à haut risque”, raconte Tiana Rakotobe, employée sur un projet dans le Sud.
Ce moment illustre la vulnérabilité du territoire face aux incendies, souvent liés à la sécheresse prolongée, au tavy, aux feux de brousse volontaires ou non, alliés à l’absence de dispositifs de prévention et de lutte. Dans le Sud comme ailleurs, l’eau et les moyens manquent pour éteindre les feux et les communes rurales restent démunies face aux flammes.
Derniers feux de forêts en date ce mois de septembre 2025 sont ceux du Parc National d’Ankarafantsika. Un incendie d’une ampleur inhabituelle a ravagé la partie nord du parc national d’Ankarafantsika, dans la région de Boeny. Les flammes ont démarré dans les zones de Mahatazana et Maroaboaly, s’étendant rapidement à cause de la sécheresse et du vent. Plus de 300 personnes se sont mobilisées pour contenir le feu — agents du Madagascar National Parks (MNP), sapeurs-pompiers, militaires, civils — mais les dégâts n’ont pas encore été pleinement évalués.
L’événement a déclenché une vive polémique entre les responsables du parc et les autorités régionales. Le gouverneur de Boeny a publiquement critiqué la gestion du MNP, l’accusant d’inaction et de manque de coordination. En retour, le MNP a défendu son dispositif, affirmant que les feux avaient été maîtrisés grâce à une mobilisation rapide, et que les zones les plus sensibles du parc — cœur de biodiversité — avaient été préservées.
Le ministère de l’Environnement a annoncé l’ouverture d’une enquête pour déterminer l’origine exacte des incendies et identifier les responsables. Dans un contexte de sécheresse prolongée, où les feux de brousse se multiplient dans l’ouest et le sud du pays, cette affaire illustre les tensions croissantes entre gestion environnementale, gouvernance locale et attentes des populations.
Une saison annuelle redoutée
Nous sommes en pleine saison des feux actuellement. Cette période des feux commence avec l’arrivée de la saison sèche, dès juin, et atteint son pic entre septembre et octobre. Chaque année, elle menace les écosystèmes, la santé humaine, les moyens de subsistance et les équilibres climatiques. La combinaison chaleur, vent, absence de pluie, pratiques agricoles traditionnelles et végétation inflammable transforme chaque incendie en crise incontrôlable.
En 2024, plus de 6 millions d’hectares ont été ravagés, et déjà, pour 2025, les satellites détectent 8 676 foyers actifs. Les villageois vivent ce cauchemar au quotidien : odeur acre de fumée, ciel voilé, peur pour les champs et les maisons.
Les causes : facteurs humains, sociaux et climatiques
À Madagascar, les feux sont déclenchés par une combinaison complexe de facteurs humains, sociaux et naturels. Le tavy, pratique ancestrale d’agriculture sur brûlis, consiste à brûler des parcelles pour fertiliser temporairement le sol. Mal maîtrisé ou situé en bordure de forêt, il peut provoquer des incendies incontrôlables. Cette méthode reste largement utilisée dans les zones rurales où les alternatives agricoles sont limitées et où la pression démographique pousse à créer de nouvelles terres cultivables.
L’exploitation du bois de chauffe et la production de charbon de bois contribuent également à la fragilité de la végétation. A Madagascar, plus de 90 % de la population utilise le bois de chauffe et le charbon de bois comme principales sources d’énergie domestique. Cette dépendance massive s’explique par plusieurs facteurs : le coût élevé et l’instabilité de l’électricité, le prix inaccessible du gaz pour la majorité des ménages, et l’ancrage culturel de ces combustibles dans les pratiques quotidiennes.
Le bois et le charbon ne servent pas seulement à cuisiner : ils représentent aussi une source de revenus pour de nombreuses familles, notamment en zone rurale, où leur production et leur commercialisation sont intégrées dans l’économie informelle. Mais cette consommation entraîne des conséquences graves : la déforestation à grande échelle, la dégradation des sols, et des risques sanitaires liés aux fumées toxiques.
L’expansion agricole non durable, l’élevage et la déforestation fragmentent les forêts et rendent les incendies plus difficiles à contenir. La pauvreté, l’insécurité foncière et le manque d’infrastructures incitent certaines populations à recourir au brûlis, parfois accidentellement, lorsque des feux domestiques ou des activités humaines proches des forêts échappent au contrôle.
Les conditions climatiques aggravent le phénomène. La sécheresse prolongée, les vents forts, la chaleur extrême et le réchauffement global favorisent la propagation rapide des flammes. Les feux qui jadis pouvaient être maîtrisés se répandent désormais sur des surfaces vastes, atteignant parfois des zones isolées et difficiles d’accès, où l’alerte et l’intervention sont retardées.
Les conséquences : écologiques, sanitaires, économiques et sociales
Les effets des feux de brousse et de forêt à Madagascar sont multidimensionnels. Sur le plan écologique, les pertes de biodiversité constituent sans doute la plus grave des conséquences. Madagascar, reconnu comme l’un des “hotspots” mondiaux de biodiversité, abrite un très grand nombre d’espèces endémiques — plantes, mammifères comme les lémuriens, reptiles, invertébrés — dont beaucoup sont déjà menacées. Lorsque la forêt est détruite ou fragmentée par les flammes, les habitats essentiels pour nombre de ces espèces sont irrémédiablement altérés ; certaines espèces sont contraintes de reculer dans des zones refuges de plus en plus isolées, ce qui fragilise leurs populations et augmente le risque d’extinction.
Par ailleurs, la perte de couvert forestier a des effets directs sur le sol. La végétation joue un rôle protecteur contre l’érosion : ses racines maintiennent la structure du sol, sa couverture limite l’impact des pluies. Quand cette couverture disparaît à cause des incendies, les pluies, parfois violentes, lessivent les sols, provoquent ravines, glissements de terrains, et emportent la terre arable. Ce phénomène d’érosion réduit la fertilité des sols, rendant l’agriculture moins productive, ce qui peut pousser les communautés à encore recourir au tavy ou à étendre des terres cultivées, créant un cercle vicieux. L'eau douce peut également être affectée : les bassins versants perdent de leur capacité de régulation, la sédimentation augmente dans les rivières et lacs, ce qui dégrade la qualité de l'eau, nuit à la faune aquatique, augmente les risques d’inondations en aval.
Sur le plan sanitaire, la fumée des incendies dégage des particules fines (PM2.5 notamment), des gaz toxiques, de la suie, qui sont transportés parfois sur de longues distances, jusqu’aux zones habitées, notamment les zones urbaines comme Antananarivo ou d’autres chefs-lieux régionaux.
À Antananarivo notamment, pendant la saison des feux, le ciel est couvert d’une brume opaque recouvre la ville, comme un voile de cendres suspendu entre les collines. Ce phénomène, loin d’être ponctuel, est devenu presque quotidien en cette saison sèche. Les feux de brousse qui encerclent la capitale libèrent des volutes de fumée qui s’accumulent dans l’atmosphère, piégées par l’absence de vent et de pluie. À cela s’ajoute la pollution urbaine : gaz d’échappement, poussières, incinérations sauvages. Le cocktail est lourd, irrespirable. Ces particules provoquent des irritations respiratoires, exacerbent l’asthme, la bronchite, peuvent entraîner des complications chez les plus vulnérables — enfants, personnes âgées, malades chroniques — pendant les épisodes les plus sévères.
L’horizon reste flou, comme effacé. Les collines d’Ambohimanga ou d’Ankadifotsy disparaissent derrière un rideau gris. Le soleil peine à traverser cette couche, donnant à la lumière une teinte jaune sale, presque irréelle. Dans les quartiers bas, l’air est chargé, les yeux piquent, les respirations se font courtes. Les enfants toussent, les personnes âgées s’enferment. Et pourtant, la ville continue de vivre sous ce ciel de cendres, comme si cette atmosphère étouffante faisait désormais partie du décor.
Ce brouillard brun n’est pas qu’un signe de saison : il est le reflet d’un déséquilibre profond entre pratiques rurales, pression urbaine et absence de régulation environnementale. Il rappelle que même dans la capitale, l’air peut devenir aussi rare que l’eau.
Les impacts économiques ne sont pas négligeables : les destructions de parcelles cultivées, la perte de charbons de bois ou de bois utile, la détérioration des infrastructures rurales (routes, ponts, habitations) en situation de feux non contrôlés imposent des coûts élevés aux communautés. Les collectivités doivent mobiliser des ressources pour lutter contre les incendies — matériel, main-d’œuvre, moyens logistiques — alors que souvent leur budget est limité.
Le secteur du tourisme, qui dépend de la nature, des parcs nationaux ou des réserves naturelles, pâtit aussi. Les feux abîment les paysages, les sentiers, les infrastructures de protection des aires protégées, ce qui peut décourager les visiteuses et visiteurs, entraînant des pertes d’emploi ou de revenus dans les régions concernées.
Socialement, les feux aggravent la vulnérabilité des populations rurales. Les communautés qui pratiquent l’agriculture de subsistance se retrouvent privées de récoltes, parfois de bétail. Les feux peuvent aussi causer des déplacements temporaires à la suite d’un incendie qui menace une commune ou un village. La disparition des ressources naturelles — bois, plantes médicinales, matière première pour l'artisanat, gibier — affecte les revenus complémentaires des ménages, notamment ceux déjà en situation de pauvreté. Les femmes et les enfants, souvent chargés de collecter bois de cuisson ou ressources de proximité, subissent particulièrement ces pertes.
Mesures déjà prises
Face à ce fléau, Madagascar a engagé plusieurs initiatives. Le ministère de l’Environnement et du Développement Durable, en partenariat avec des ONG telles que le WWF, a élaboré un plan de contingence national destiné à anticiper, préparer et répondre aux feux de brousse et de forêt, tout en organisant la période post-incendie. Le plan national de reboisement 2024-2025 prévoit de restaurer 75 000 hectares de terres dégradées, en ciblant les zones les plus touchées par les incendies et en impliquant les communautés locales pour assurer la durabilité des plantations.
La sensibilisation des populations sur les risques du tavy et la promotion de techniques agricoles alternatives accompagne ces efforts, tandis que des systèmes de surveillance satellitaire, tels que MODIS et VIIRS, permettent de détecter les foyers dès leur apparition et d’alerter les autorités compétentes. Certaines législations encadrent la protection des forêts, la régulation du charbon et des brûlis, et favorisent l’agroforesterie et la restauration des sols, bien que leur application reste inégale selon les régions.
Ce qu’il reste à faire
Malgré ces initiatives, Madagascar reste vulnérable. Les communes rurales, les plus exposées, manquent de moyens humains et matériels pour prévenir ou combattre efficacement les incendies, et l’accès à des systèmes d’alerte rapide reste limité dans les zones isolées. Les alternatives au tavy et à la coupe de bois ne sont pas toujours disponibles ni adaptées aux conditions locales, ce qui pousse de nombreuses familles à recourir au brûlis pour survivre. La gouvernance environnementale et l’application des lois restent hétérogènes selon les régions, tandis que le suivi des plans de reboisement et de prévention est parfois incomplet. Les changements climatiques aggravent encore la situation : les saisons sèches s’allongent, les épisodes extrêmes se multiplient et les pluies irrégulières compliquent la régénération des forêts replantées. Dans ce contexte, il devient crucial de combiner moyens financiers, organisation locale, alternatives agricoles durables, sensibilisation et coordination nationale pour transformer ces crises répétées en opportunités de restauration et de résilience.
Action concertée et durable indispensable
Madagascar se trouve aujourd’hui à un carrefour. Faut il continuer à subir, année après année, les ravages des feux de brousse et de forêt, avec leurs conséquences érosives, sanitaires, économiques et climatiques, ou de mettre en place une stratégie robuste, correctement financée, coordonnée et appliquée sur le terrain. La solution ne réside pas dans un seul secteur, mais dans la convergence des politiques agricoles, environnementales, énergétiques, de gestion des terres et de santé publique.
Les communautés locales, lorsqu’on les écoute, qu’on les forme et qu’on les considère comme des actrices plutôt que comme de simples victimes, peuvent devenir les meilleurs alliés de la prévention. Il faut se rappeler que les feux ne sont pas uniquement une “catastrophe naturelle” : ils sont largement anthropiques, prévisibles et en partie évitables. Le changement climatique les rend plus fréquents et destructeurs, mais ce sont les choix humains — dans les modes de production, l’utilisation des terres, la gouvernance et les priorités budgétaires — qui détermineront si Madagascar répète le drame saison après saison ou réussit à retrouver des paysages vivants, résilients et riches en biodiversité, au bénéfice de tous.
Données satellitaires / alertes récentes
Global Forest Watch (GFW) – Alertes VIIRS
Il y a eu 8 676 alertes de feux à haute confiance détectées en 2025 à Madagascar.
Ce nombre d’alertes est considéré comme “normal” comparativement à d’autres années, selon GFW.
Note : “alertes de feu” ne se traduisent pas directement en “hectares brûlés” — ça dépend de la taille de chaque incendie, de leur intensité, etc. Les satellites voient les “points chauds” mais pas toujours l’étendue brûlée complète avec précision.
Global Forest Watch – Deforestation alerts
Entre le 22 et le 29 août 2025, Madagascar a eu environ 64 026 alertes de déforestation (ceci concerne les alertes liées à la perte de couvert forestier), couvrant ~ 745 hectares pour cette période.
Cette donnée de 745 ha concerne donc une semaine, uniquement pour des alertes de perte de forêt, pas tous les feux de végétation ou broussailles.
Cas spécifiques – incendies dans des zones protégées etc.
Par exemple, dans la zone protégée de Manombo, district de Farafangana, un incendie a brûlé environ 89,4 hectares à partir du 19 décembre 2024. (BNGRC)
Dans la région de Sainte Luce (sud-est), des feux en janvier 2025 ont affecté des fragments de forêt, notamment des corridors de forêt littorale. Mais je n’ai pas trouvé de chiffre consolidé sur la superficie pour l’intégralité des fragments brûlés.
Limites et ce qu’on ne sait pas encore
Les alertes satellites donnent des signes de feux actifs ou de perte de couverture végétale, mais ne donnent pas automatiquement une surface brûlée précise, surtout pour les broussailles ou les feux de végétation peu denses.
Beaucoup de rapports de terrain (et de sources gouvernementales régionales) ne sont pas encore publics ou consolidés en données nationales pour 2025.
Les données de “déforestation” ne captent pas tous les feux : certains brûlent des herbages, broussailles, zones déjà dégradées et ne sont pas classés comme “forêt”.
Estimation raisonnable
À partir de tous les signaux :
On peut supposer que la surface brûlée en 2025 (feux de broussaille + forêts) est déjà dans plusieurs millions d’hectares — si on compare à 2023-2024 — mais inférieure ou comparable à celle de 2024, puisque la saison spectaculaire des feux semble moins avancée en certaines régions.
Si on prend les chiffres hebdomadaires de déforestation (ex : ~ 745 ha dans une semaine fin août pour les alertes forestières) et qu’on les projette, cela indique une perte forestière via incendies non négligeable, mais pour avoir le total, il faut encore des rapports officiels complets.