Les siens ont ainsi fait savoir que la date du rapatriement des cendres à Madagascar serait communiquée ultérieurement. Ce fut chose faite le 11 février dernier où les restes mortels de Dr Mireille Rabenoro ont atterri sur le tarmac de l’aéroport international d’Ivato, Antananarivo, suivant l’information lue dans le faire-part paru dans un quotidien de la place.
Sommités intellectuelles
Hier à 14 heures, une messe religieuse célébrée au temple de l’Eglise protestante réformée FJKM Manohisoa Fitiavana à Anjeva Gara, banlieue Est d’Antananarivo, a marqué les obsèques. Par la suite, le cortège funèbre s’est dirigé vers le sud en suivant la route d’Alarobia Ambatomanga où se trouve la tombe familiale. Iravoandriana est situé à environ 3 km de Manohisoa Anjeva.
Plusieurs personnalités ont assisté aux funérailles pour rendre un dernier hommage à la dame d’envergure et à une femme leader battante. En effet, Dr Mirelle Rabenoro faisait partie des sommités intellectuelles du pays. Agrégée d’anglais, elle était maître de conférences à l’Ecole normale supérieure (ENS) de l’université d’Antananarivo, membre titulaire de l’Akademia Malagasy et grand officier de l’Ordre national malagasy.
La disparition de Mireille, selon le mot d’affection des siens, a laissé un vide énorme non seulement dans le milieu académique et universitaire, mais aussi dans le monde politique et même journalistique. De son vivant, elle participait à la rédaction du journal en ligne Madagascar-Tribune.com. Selon ce support, elle avait à son actif 21 éditoriaux, publiés entre le 8 mars 2014 et le 17 mai 2021, un mois avant son décès.
Fluidité
Elle était la fille ainée du célèbre Dr Césaire Rabenoro, ancien ambassadeur et ministre, président de l’Académie des Arts, des Lettres et des Sciences de Madagascar (1973-2002). Sa mère, Georgette Ratsimihara Rabenoro, était magistrate ayant terminé sa carrière comme présidente de Chambre à la Cour suprême et présidente de la Formation de contrôle de la Cour suprême. Mireille était donc une enfant élevée dans une famille pétrie de cultures chrétiennes, diplomatiques, académiques et politiques, sans pour autant perdre de vue l’identité malagasy.
Comme sa sœur cadette Irène Rabenoro, elle était passée par le lycée français de Londres et le lycée Gallieni à Andohalo, Antananarivo, le lycée Fénelon à Paris et l’université de Madagascar d’où elle décrochait une licence d’anglais et une maîtrise en littérature américaine, avant de s’envoler à Paris où elle obtenait un diplôme d’études approfondies (DEA) en littérature des pays anglophones. Elle était agrégée d’anglais en 1979.
L’obtention du DEA lui ouvrait les portes du département de langues vivantes à l’université de Madagascar. Elle était directrice de ce département de 1978 à 1981. Elle était également enseignante à l’ENS d’Antananarivo. Ses étudiant(e)s se rappelleront toujours la fluidité de ses enseignements.
« Rares sont les professeurs comme elle », témoigne l’un d’entre eux.
Rédaction des tracts
A l’instar de son père et de sa sœur, Mireille s’est activement engagée dans des affaires politiques par-delà les activités académiques et universitaires. De retour au pays en juin 1972, elle participait au mouvement des élèves et étudiants à l’origine de la chute du président de la Première République Philibert Tsiranana (1958-1972) dont le régime avait durement réprimé le parti MONIMA un an plus tôt.
Les sœurs Rabenoro, chacune de son côté, contribuaient à la rédaction des tracts. Après l’arrivée au pouvoir du Général Gabriel Ramanantsoa, un congrès national se tenait à Mahamasina en septembre 1972. Les deux sœurs prenaient part de façon active au préparatif. Mais elles s’opposaient au référendum lancé par le Général pour asseoir son pouvoir.
En poursuivant ses études supérieures, Mireille s’est engagée auprès du parti marxiste « Mpitolona ho an’ny Fanjakan’ny Madinika » (MFM) ou Militants pour le pouvoir du prolétariat. Elle en était un membre fondateur. Elle donnait alors des cours d’alphabétisation aux enfants des quartiers pauvres de la capitale.
Activiste féministe
Dans des témoignages confiés à un journal français, les deux sœurs ont fait l’objet de plusieurs arrestations, avant d’être jugées en 1973 (avec quelque 170 de leurs camarades) pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat et condamnées à 6 mois avec sursis. Après coup, l’aînée a décidé de quitter le MFM. Mais elle n’a pas tardé à revenir aux affaires politiques.
L’arrivée au pouvoir de Didier Ratsiraka l’a poussée à renouveler ses engagements politiques. « Mireille fait partie du groupe des enseignants-chercheurs de l’AREMA (« Antoky ny revolisiona malagasy » - Avant-garde de la révolution malgache), le parti créé par le nouveau président en 1976, et jusqu’en 1992 de l’association des femmes de l’AREMA », note une source consultée. Selon toujours celle-ci, elle siégeait également dans l’un des conseils de quartier (les « fokontany ») mis en place par le pouvoir marxiste-léniniste.
De 1991 à 1995, Mireille était directrice de la condition de la femme et de l’enfance au ministère de la Population. Activiste féministe, elle était responsable du secteur social dans la cellule de planification, de suivi et d’évaluation du bureau du Premier ministre Jacques Sylla (2005 à 2007) et du successeur de celui-ci, Charles Rabemananjara (2007 à 2009).
Restée sensible
Auteure du livre intitulé « Langue et éducation. Quelle langue utiliser en classe, à Madagascar au 21e siècle ? » (2013), entre autres, Mireille était toujours restée sensible à la didactique des langues. Lors d’un atelier scientifique qui s’est déroulé du 22 au 23 juin 2009 à l’hôtel Le Hintsy à Ambohimanambola, elle y faisait venir un grand spécialiste ghanéen de la sociolinguistique mais travaillant en Afrique du Sud.
Vice-présidente du Conseil national des femmes de Madagascar et de FAWE Madagascar (Forum des éducatrices africaines), elle était, depuis octobre 2016, commissaire des droits de l’Homme, plus particulièrement chargée des droits de la femme au sein de la CNIDH de Madagascar, tout en poursuivant ses activités universitaires.
Mariée à Gérard Rajaonson, décédé en 2007, Mireille était mère de trois enfants. Le 24 septembre 2021, l’Akademia Malagasy a rendu un bel hommage à cette grande dame hors pair. Que son âme repose en paix !
M.R.